SAMIR AMIN
Réflexions sur la voie chinoise au
socialisme ; à partir des documents du 19 ième congrès du PCC, 2017.
1.
La révolution chinoise est
une grande révolution parce qu’elle a inscrit ses objectifs premiers (libérer
la Chine de la domination de l’impérialisme, de la féodalité et de la
bourgeoisie compradore) dans la longue transition au communisme.
a)le communisme est un
stade supérieur de la civilisation, fondé sur le principe de la solidarité (des
individus et des nations) se substituant à celui de la compétition. La
socialisation par la pratique de la démocratie succède à celle fondée sur la
soumission aux mécanismes du marché. La libération des êtres humains de
l’aliénation marchande et de leur soumission au pouvoir substitue la domination
de l’instance culturelle nouvelle à celle de l’Etat et permet son
dépérissement.
Le communisme est une
« utopie créatrice » : l’utopie d’aujourd’hui deviendra la
réalité de demain.
b)le projet communiste est
un projet universel. Il n’est pas celui de quelques peuples particuliers dont
l’héritage culturel exceptionnel aurait préparé leur capacité à en imaginer la
réalisation. Il est le projet de l’humanité entière.
Ce caractère universel ne
signifie pas que le communisme fabriquera des individus tous semblables les uns
aux autres, des nations qui ne se distingueraient plus les unes des autres. Au
contraire le communisme est synonyme de la plus grande diversité, au bénéfice
d’une créativité sans précédent dans l’histoire.
Dans ce sens chacune des
étapes de la longue transition socialiste puis le communisme lui-même doivent
être associés aux caractères propres à chaque peuple. Le socialisme sera
toujours et partout aux couleurs de la Chine, de la Russie, de la France, de
l’Egypte etc. Le rappel de cette volonté par le PCC (le socialisme avec des
caractéristiques chinoises) doit être soutenu ; il est positif.
2.
Le parcours historique de
la Chine est remarquable. La Chine a constitué la masse démographique la plus
importante organisée en société dans un Etat en avance sur les autres. Elle se
tenait au premier rang pour la diversité et la qualité de ses produits et
l’efficacité dans leur production. Elle avait inventé quelques-uns des éléments
fondamentaux pour une avancée dans la modernisation du monde : la laïcité,
la gestion des services publics par la méritocratie. De ce fait elle
constituait pour les Monarchies absolues européennes du 18 ième siècle le
modèle à imiter (Ref, Etiemble).
Néanmoins ce modèle
s’essoufflait depuis le 18 ième siècle et avec la révolution industrielle
européenne du 19 ième la Chine sombrera
dans le statut de pays dominé. Son peuple s’est engagé très tôt dans une voie
révolutionnaire nouvelle dont témoigne la Révolution des Taipings (ref), ancêtre
du maoïsme. Les classes dirigeantes ont également tenté de résister à leur
manière (Ref, les réformes de l’impératrice Tseu Hi, la révolution de 1911). Ce
sont les canons de la flotte britannique et non pas la compétitivité supérieure
de l’industrie anglaise qui ont ouvert la Chine à la domination impérialiste.
La Chine doit au marxisme
et à sa sinisation par Mao l’heureuse issue de son combat et le triomphe de sa
révolution.
L’ambition du peuple
chinois, soutenu par son Etat depuis 1950 et jusqu’à ce jour, est de voir la
Chine parvenir au rang de puissance indépendante, respectée, acteur actif dans
le façonnement du monde, offrir à son peuple des conditions de vie honorables,
rendues possibles par le progrès de la science moderne.
Cette ambition est
légitime et doit être soutenue par tous les peuples de la Planète.
3.
Depuis 1950 la Chine s’est
engagée sur la voie de la longue transition socialiste.
a)la voie choisie par le
peuple et l’Etat chinois est évidemment singulière, en réponse au défi de la
« construction du socialisme dans un seul pays ». Car la longue
transition socialiste ne peut pas être autre chose que le produit d’avancées
successives et inégales d’un pays à l’autre. Il n’en a jamais été autrement ni
dans le passé historique, ni dans le présent et l’avenir visible. L’humanité n’a
jamais progressé et n’avancera jamais à un rythme égal pour tous ; il n’y
aura jamais de « révolution mondiale » dispensant ceux qui peuvent
faire un pas en avant de le faire seuls (ref l’erreur des Trotskystes sur ce
sujet).
b)la transition socialiste
chinoise est passée par des étapes successives depuis 1950 jusqu’à ce jour.
La première étape s’est
conclue par la victoire d’une révolution populaire et démocratique conduite par
un parti authentiquement communiste dans son projet, une révolution qui a été
capable d’engager la majorité de la force principale dans la société, la paysannerie,
dans le long processus de transformation du pays. Pour cette raison Mao a dit
de cette révolution qu’elle était « populaire et démocratique » et
non pas « bourgeoise et démocratique » ; et cette
distinction conserve son caractère
décisif pour le présent et l’avenir.
Les moments successifs
ultérieurs pour les périodes maoistes et post maoistes ont été marqués par des
avancées, et parfois des reculs, qu’il est nécessaire de savoir reconnaître. Il
ne peut en être autrement dans le combat historique de longue durée engagée par
la Chine depuis 1950.
Il revient au 19 ième Congrès
et au Président Xi Jinping l’honneur d’avoir reconnu la continuité de cette
histoire et d’avoir rompu avec les discours qu’on entend souvent selon lesquels
la période maoiste aurait été tissée d’erreurs continues et fondamentales et
que c’est la rupture consécutive à la mort de Mao qui serait seule à l’origine
du succès de la Chine contemporaine.
c)à toutes les étapes de
son développement la voie chinoise a été confrontée – et elle le demeure – à
deux défis majeurs qui appellent des réponses efficaces et correctes pour
chacun de ses moments successifs.
(i)le défi que constitue
l’association de la paysannerie aux avancées possibles de la longue transition
socialiste ;
(ii)le défi que constitue
l’hostilité que le système capitaliste mondial en place manifeste à l’endroit
de la progression de la Chine.
La Chine est parvenue à
répondre généralement correctement à ces défis. Mao a su tirer les leçons de
l’expérience soviétique malheureuse, enlisée et incapable de se réformer,
condamnée de ce fait à une restauration pure et simple du capitalisme. Mao et
ses successeurs ont été capables d’imaginer des stratégies nouvelles qui se
sont avérées efficaces.
d)la Chine est désormais engagée
dans un projet double qui vise d’une part à construire un système productif
industriel complet, cohérent et autocentré, articulé à la rénovation de
l’agriculture paysanne et, d’autre part, à chercher à tirer profit de son
insertion dans la mondialisation capitaliste contemporaine. Ce projet est
conflictuel par nature, même si probablement il constitue la seule alternative
possible dans les conditions du monde contemporain. Certes il laisse la voie
ouverte au renforcement de tendances capitalistes qui opèrent dans la société.
Néanmoins si le pouvoir dirigeant du PC et de l’Etat en prend une mesure
lucide, il devient possible de surmonter la contradiction en question. Mais
pour cela il est nécessaire : a) que le pouvoir conserve et renforce sa
capacité de contrôler l’insertion de la Chine dans la mondialisation
impérialiste hostile (et en particulier qu’il refuse l’insertion de l’économie
chinoise dans la mondialisation financière) ; et b)qu’il respecte et même
favorise les capacités de résistance des
classes populaires aux ravages du capitalisme.
Sur ce plan ma lecture
des documents du 19 ième Congrès me rassure. Il reste que seuls les
développements à venir pourront prouver que les résolutions du Congrès seront
réellement mises en œuvre.