lundi 25 décembre 2017

Samir Amin; A propos de la gauche radicale en Europe



SAMIR AMIN ;  A propos de « La gauche radicale en Europe » 

Commentaire de Samir Amin , décembre 2017

Je recommande vivement la lecture du livre « La Gauche radicale en Europe », écrit par Jean-Numa Ducange, Philippe Marlière et Louis Weber (Editions du Croquant, 2013, collection Espaces Marx, Paris).
Le panorama de ce que sont les gauches radicales en Europe est complet. J’ose dire qu’il est parfait parce que les auteurs ont donné avec une grande précision ce que sont les positions de tous les courants recensés et que, de surcroît ils l’ont fait avec objectivité, sans arrogance ni invectives à l’endroit de ceux qui ont des opinions qui ne sont pas nécessairement celles des auteurs. Ce comportement, hélas rare aujourd’hui, mérite d’être salué, parce qu’il est salutaire.
Salutaire parce que, au-delà d’un rapprochement que permettraient des débats organisés avec le souci majeur d’y interdire l’arrogance sectaire, l’objectif doit être la création d’une nouvelle Internationale des travailleurs et des peuples, seul moyen de modifier en faveur des peuples des rapports de force défavorables à l’extrême, seul moyen de permettre l’émergence de stratégies d’action communes.
Mais l’ouvrage reste incomplet. Il ignore les gauches radicales de l’Europe de l’Est. Leur intégration dans le débat s’impose. Il ignore également que la gauche radicale ne mérite son nom que si elle adopte des positions résolument anti impérialistes. Sans doute celles-ci constituent précisément le point faible des gauches européennes étudiées dans le livre, à l’exception d’individus qu’on trouve probablement dans beaucoup des courants recensés.
Je ne dirai rien ici du débat concernant l’avenir de la construction européenne, nécessaire plus que jamais.
Cet ouvrage doit être traduit, au moins en anglais, espagnol, russe, chinois et arabe.
Solidarité communiste 

SAMIR AMIN, 25 décembre 2017

PS : j’adresse cette note aux auteurs, mais également à d’autres en Europe, en Europe de l’Est, en Russie, en Chine, dans le Grand Sud. Bien qu’écrit en français, je souhaiterais qu’un effort soit fait pour qu’il soit lu.

samedi 23 décembre 2017

Samir Amin; Catalogne 2017



SAMIR AMIN ;  24 dec 2017

Catalogne, Espagne, Autriche, Europe ….la dérive

1.     Le chaos qui s’exprime en Catalogne par le partage égal de l’opinion entre
« indépendantistes » et « unionistes » défit la raison. Car chacun des camps est lui-même partagé entre droite néo libérale réactionnaire affichée et gauches davantage sensibles aux conditions déplorables faites aux travailleurs. Certes certains de ces partis de gauche sont ralliés au libéralisme (ce qui constitue une contradiction en soi !) ; mais d’autres sont potentiellement anti capitalistes, même s’ils partagent les illusions – majoritaires en Europe – de la possibilité de « réformer les institutions de l’Union européenne », pourtant construites en béton armé pour que cela soit impossible.
Néanmoins, en dépit de ces différences, les uns et les autres donnent priorité à leur choix « national » (ou mieux « nationalitaire »). Ils sont même disposés à gouverner ensemble une coalition hétéroclite « indépendantiste » ou « unioniste ». Je n’ai entendu qu’un seul participant catalan à ces débats – le représentant de Podemos – oser dire clairement qu’il ne conçoit pas son soutien à une coalition quelconque dirigée par la droite.
L’idéologie dominante est donc parvenue à ses fins : substituer à la priorité d’une conscience sociale (la lutte de classes) la primauté d’autres identités, en l’occurrence nationale. Il s’agit d’une dérive tragique.
2.     Le drame catalan est celui de l’Espagne. A la mort de Franco il paraissait
possible de voir ceux qui avaient défendu la République pendant la guerre civile, sinon prendre leur revanche par la violence, du moins déraciner le franquisme. Mais l’Europe a, à cette occasion, montré son véritable visage réactionnaire : il fallait sauver le franquisme de la débâcle. L’Europe a donc imposé le Roi franquiste, l’adhésion de l’Espagne à l’Otan, l’interdiction d’invoquer même les crimes du fascisme. Il est vrai que, par conviction pour certains et par opportunisme pour d’autres la presque totalité des forces politiques espagnoles ont accepté ces conditions honteuses.
Le franquisme est donc toujours bien vivant et domine la droite avouée. Celle-ci continue à partager avec le franquisme son refus de donner sa place à la diversité des composantes nationales de la société. Rajoy en a donné un bel exemple ! Or pendant la guerre civile la majorité catalane avait soutenu avec une grande résolution la République. Mais elle n’était pas seule à le faire : Madrid républicain en donne le témoignage.
3.     La page du fascisme n’est donc toujours pas tournée, ni en Espagne ni
ailleurs en Europe. Car il ne s’agit pas là d’une « erreur de jugement exceptionnelle » des Européens. La droite qui domine les institutions de l’Union et l’a construite en béton armé pour que son monopole ne puisse pas être remis en question, démontre tous les jours et partout « qu’elle préfère le fascisme au front populaire ». L’entrée fracassante des fascistes aux postes clés du gouvernement en Autriche, aux côtés d’un misérable jeune imbécile de droite choisi à cet effet, en donne un bel exemple. Il n’est pas le seul. L’Europe soutient les fascistes en Ukraine et dans les Etats baltes. Marine le Pen est devenue un personnage fréquentable etc.
Le pouvoir dans le capitalisme contemporain des monopoles est devenu totalitaire. Fondé sur le ralliement libéral des gauches historiques majoritaires ce totalitarisme se manifeste par l’émergence d’un parti de fait unique (celui des monopoles) qui revêt des masques différents et exerce son pouvoir de domination totale et exclusive dans tous les domaines : la gestion de l’économie, celle des médias et de la politique. Ce totalitarisme, encore « soft » est déterminé à devenir dur si les luttes populaires parviennent à remettre en question son monopole.
Cette dérive de la société dans toute l’Europe doit inquiéter et interpelle tous ceux qui en sont conscients ; elle ne présage rien de bon.

lundi 18 décembre 2017

SAMIR AMIN; Bibliographie 2017




PUBLIE  EN  2017

101 17 01  Le centenaire de la révolution d’ octobre 1917 ; Delga, 2017
101 17 02  La souveraineté au service des peuples ; l’agriculture paysanne, la
                    voie de l’avenir ;  Cetim, Genève, 2017
103 17 01   Ashet thawra oktober ; Dar el Farabi, Beyrouth 2017
104 17 01  La revolucion de Octubre cien anos despues ; El Viejo Topo ; 2017
104 17 02  Octubre 1917 ; El Viejo Topo ; 2017
105 17 01   Ottobre 17 : ieri e domain; ed Marx Ventuno, Rome 2017
190 17 01  Dolgui put ot kapitalzma k socializmu ; trad russe, ed Inir, Moscou
                  2017.
201 17 01  Préface ; in, Erik Rydberg, Que faire? , Couleur Livre,
                Belgique, 2017
202 17 01 Contemporary imperialism ; in, Vladimir Popov and Piotr Dutkiewicz
             (ed), Mapping a new world order; Edward Elgar, USA 2017.
203 17 01  Al maalat al muhtamala lil nizam al iqtisadi al alami; in, Markaz
              Al dirassat al siyassiya, Al Ahram, 2017
302 17 01 The sovereign popular project, the Alternative to liberal   
                 Globalization; Journal of Labor and Society; vol 20, issue 1, march
                 2017  .
302 17 02  From Bandung (1955) to 2015; old and new challenges for the
                  States,  Nations and peoples of Asia, Africa and Latin America;   
                 Interventions  International Journal of Postcolonial Studies; Taylor
                 and  Francis  ;  Online; July 2017.   
302 17 03  The October 1917 Revolution started off the transformation of the
           World; International Critical Thought,  vol 7, issue 2, july 2017, Beijing
302 17 04  Revolutions  and counter revolutions  from 1917 to 2017; Monthly
                  Review, vol 69, issue 3,  july-aug 2017
302 17 05  The agrarian question a century after October 1917, Capitalist
               Agriculture and agriculture in capitalism; Agrarian South Journal
              Of Political Economy; Sage; vol 6, n°2, 2017
303 17 01  Maza an al al alam al awal ? Part one ; Ahram 10/01/2017
303 17 02  Maza an al alam al awal? Part 2; Ahram 27/1/2017
303 17 03  Maza an al alam al awal? Part 3; Ahram 10/2/2017
303 17 04  Maza an al alam al awal ? Part 4; Ahram 24/2/2017
303 17 05 Naqd nihaya al tarikh ; Ahram ; 17/3/2017
303 17 06  Al Iqtisad al khales shawaza; Al Tarik; n°21, 2017, Beyrouth
303 17 07  Rouya fi qadaya al mara; Ahram; 15/4/2017
303 17 08  Al intikhabat al faransia: mahzala mukhifa: Al  Masa; Al Dar al
                  Baida: 7/7/2017
303 17 09  Maza an al alam al awal?; Al Tarik, n° 22, 2017
303 17 10   Foras wa shurut al badil al mustaqil fi zourouf al awlama;
                  Al Dimukratia; Dar el Ahram; n° 68, oct 2017.
303 17 11   Baad sukut al nizam al soviet; Ahram, 9/12/2017
304 17 01  La eleccion de Donald Trump; El Viejo Topo, n°348, Barcelone
                  Janv 2017.
307 17 01  Wir brauchnen eine funfte Internationale ; Neues Deutschland ;
                  Berlin, 12 sept 2017
309 17 01  Le besoin d’une Internationale des travailleurs et des peuples ;
                    Dromos tis Aristeras, Athènes, 29/7/2017
313 17 01  Review of the French presidential elections ; trad Chinoise ; World
                  Socialist Studies; Beijing, n°4, july 2017; pp 73-74, summary
                  English, page 96.
390 17 01  Oktiabrskaya revoluzia 1917 goda, nachalo transformatsi mira;
                  Alternativi; n°3, 2017, Moscou





dimanche 17 décembre 2017

Samir Amin; Octobre 1917, intervention, Strasbourg decembre 2017



SAMIR AMIN
Intervention ; Strasbourg, 2 décembre 2017



J'ai choisi d'amorcer cette série d'interventions  qui suivront par Octobre 1917. J'ai choisi cette date non pas parce que nous commémorons son centenaire, mais parce qu’elle amorce ce que j'appelle une grande révolution. C'est-à-dire une révolution toujours inachevée. Il n'y a pas beaucoup de grandes évolutions à travers l'histoire. Il y en a trois.

La première est la révolution française. Et ce n'est pas par hasard si elle a produit par la suite la première révolution socialiste, celle de  la Commune de Paris (1871). La seconde est la révolution russe ; la troisième la révolution chinoise.

Ces révolutions sont grandes  parce que leurs projets se projettent loin en avant des exigences de leur temps. Elles se proposent des projets qui d'une certaine manière peuvent être qualifiés d'utopiques. Oui, mais il s’agit d’utopies créatrices, celles  qui font histoire. L’'utopie d’aujourd'hui devient la réalité de demain.

Il leur faut donc du temps pour se développer, pour permettre aux processus qu'elles amorcent de contribuer à faire l'histoire. Ce sont les grandes évolutions qui font l'histoire. Les réactions conservatrices, ou même franchement réactionnaires, en ralentissent le mouvement, sans plus. Je suis optimiste... Je crois que ce sont ces révolutions qui finalement ont le dessus.

 La révolution française, pas celle de 1789, qui est son février, mais celle de 1793 qui est son octobre, amorce la démocratie moderne, la politique moderne. Celle qui va se déployer à travers tout le XIXe siècle, le XXe siècle et certainement même au de-là. Elle l’amorce sur la base d’un principe nouveau. Elle s’emploie à concilier deux valeurs difficilement conciliables, non complémentaires l'une de l'autre : la liberté et l'égalité. Contrairement à la prétendue révolution américaine, qui conçoit la liberté contre l'égalité. Le principe de compétition, que promeut la révolution américaine entend en effet la liberté comme celle de quelques-uns, au détriment de celle des majorités, victimes de l’inégalité. La révolution française refuse la compétition et lui substitue le principe de solidarité, qui permet de construire la complémentarité entre liberté et égalité. Voilà la grandeur de cette révolution, même si le principe de solidarité, qui est celui du socialisme, n’était pas à l’ordre du jour du possible immédiat à la fin du XVIII ième siècle. D’ailleurs le choix de Strasbourg pour le déroulement de notre rencontre est excellent.. Car c'est ici que Rouget de Lisle a composé cet hymne magnifique qu'est la Marseillaise.

 La révolution russe d'octobre 1917 est également une grande révolution, parce qu’elle propose la construction du front international des travailleurs : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !".
Elle pense que c'est possible, sinon dans l’immédiat, du moins rapidement. Comme l’a dit Lénine :
la révolution amorcée en Russie, qualifiée de « maillon faible » dans le système de l’époque, devait être suivie dans un temps historique court par des révolutions en Europe, en particulier en Allemagne. Cela n’a pas eu lieu ; et  pas par hasard : l'internationalisme prolétarien n'était  pas encore à l'ordre du jour de l'immédiat. Mais il reste nécessaire et possible dans  l'avenir. Sans Octobre 1917 il est difficile d’imaginer que la révolution chinoise serait parvenue à dépasser le nationalisme du Kuo Min Tang ; difficile d’imaginer Bandoung et la reconquête rapide de leur indépendance par les nations d’Asie et d’Afrique, l’émergence contemporaine des pays du Sud qualifiés de tels. Autrement dit ignorer 1917, ou pire le regarder comme une erreur et une aberration de l’histoire, c’est s’interdire de comprendre le monde contemporain. Octobre 1917 a véritablement amorcé la transformation du monde.

La révolution chinoise est également une  grande révolution, parce qu’elle  propose d'associer la libération nationale de la domination impérialiste à une transformation sociale radicale capable d'entrainer tous les peuples de ce que l'on appelle aujourd'hui le Sud, c'est-à-dire des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. La révolution chinoise a été effectivement  suivie d'une amorce de cette renaissance des peuples du Sud. Je pense ici à  la conférence de Bandung (1955) et au Mouvement des non-alignés qui a suivi. Mais il ne s’agissait que d’une amorce encore limitée et fragile. Associer la libération du joug impérialiste à l’engagement déterminé sur la voie de la construction socialiste n'est pas encore compris comme une exigence incontournable.

Voilà pourquoi ces trois révolutions  sont de grandes révolutions. Parce qu’elles sont en avance sur leur temps  les deux révolutions russe et chinoise ont été immédiatement confrontées à de gigantesques défis. Deux grands défis.

Le premier : l'hostilité belliciste et barbare, permanente,  de  l'Occident dit civilisé, c'est-à-dire des classes dirigeantes de l'Occident capitaliste et impérialiste. Car la guerre froide n'est pas un phénomène tardif survenu après la deuxième guerre mondiale. Les guerres chaudes et les guerres froides contre l’Union Soviétique ont été permanentes de 1917 à nos jours : guerres d'intervention des années 1917-20,  première longue guerre froide jusqu’en1941, seconde guerre chaude - la deuxième guerre mondiale- puis renouvellement de la guerre froide qui a suivi celle-ci. Les Soviétiques ont fait face à ce défi par le choix de la construction industrielle accélérée et l'armement. Je crois qu'il faut leur en être reconnaissant, car c'est grâce à l'Armée Rouge que les nazies ont été mis en déroute.

La Chine s'est trouvée dans une situation qui lui permettait de faire face à ce même défi, celui de l'hostilité de l'impérialisme, d'une autre manière. Elle a choisi la voie d’une participation active à la mondialisation et déploie dans ce cadre des politiques systématiques qui se donnent l’objectif de transformer cette mondialisation, qui par sa nature même est capitaliste et impérialiste, en une forme nouvelle de « mondialisation sans hégémonie ». On en discutera certainement au cours de nos débats.

Le second défi auquel les deux grandes révolutions ont été confrontées, c'est celui d'engager dans la transformation sociale une majorité écrasante paysanne. Comment associer cette majorité paysanne, à une révolution qui n'est pas une révolution bourgeoise démocratique, mais une révolution populaire démocratique, ce qui est très différent ? Les associer dans une transformation qui permet d’avancer dans la construction  de l'unité de tous les prolétaires du monde, de l'unité de tous les peuples du monde.

Je conclurai sur cette note. Puisque nous sommes invités à proposer un Manifeste pour le XXIe siècle, je proposerai que l’objectif de celui-ci soit : la construction d'une internationale des travailleurs et des peuples. C'est de cela dont nous avons besoin. Pour cela il faut aller au-delà des formules inaugurées sous le nom de « forums sociaux », qui ne sont que des lieux de débat. Utiles  certes mais pas suffisants. Au -delà il faut amorcer des formes d'organisation qui permettent aux travailleurs et aux peuples de toute la Planète de coordonner leurs stratégies de lutte, de passer de stratégies défensives, laissant l'initiative au pouvoir capitaliste impérialiste dominant, à une stratégie offensive contraignant l’adversaire à, lui, se retrouver sur la défensive et à répondre à nos initiatives, celles des travailleurs et des peuples.

Si cet appel peut paraître utopique aujourd'hui, et il le sera sans doute, il devrait devenir une réalité assez rapidement.