mercredi 16 mars 2016

S Amin, Des projets souverains pour l'Afrique



SAMIR AMIN, PROFESSEUR DE SCIENCES ECONOMIQUES
« Il faut des projets souverains aux pays africains pour espérer le développement »
L’économiste, le Pr Samir Amin, est revenu avec Le Témoin sur les « clés » de développement de l’Afrique. Selon lui, l’émergence ne se fera que si les pays africains prennent leur destin en main. En effet, il ajoute que la Chine est le meilleur partenaire qui ne demande pas une contrepartie imposante comme les Occidentaux.
Vous avez toujours prôné la déconnexion comme solutions aux  économies africaines. Etes-vous toujours pour cette approche ?
Généralement, la pensée économique bourgeoise dominante présente le sous- développement des trois continents Asie, Afrique et Amérique latine, comme simplement un retard dans le développement, et avance que ces pays pourraient ou devraient pouvoir, dans le système mondial, rattraper et devenir progressivement  des pays développés à l’image des pays occidentaux.
Ça, c’est la théorie dominante. Moi, je me suis insurgé contre cette théorie dominante depuis  longtemps, depuis ma thèse doctorale qui remonte  à 1956. En soutenant une thèse complètement opposée à celle-là : affirmant que le développement et le sous -développement  sont l’envers et l’endroit de la même médaille, les produits associés du développement du capitalisme comme système mondial.  C’est ce même développement du capitalisme qui a créé les conditions permettant à certains pays de devenir les centres dominants impérialistes du système et contraint les autres à s’inscrire dans ce même système capitaliste mondial comme des périphéries dominées.
Cette coexistence de centres dominants et de périphéries dominées remonte aux XVI et XVII siècles. Elle s’est perpétuée et  renouvelée au XIX siècle notamment pour les pays africains à partir de la fin de ce siècle avec leur colonisation, qui a été une forme très brutale d’intégration dans le système mondial. La forme la plus brutale puisqu’elle niait jusqu’à l’existence de nations, de peuples et d’Etats  ayant leur propre personnalité.
Et elle s’est poursuivie en dépit de l’indépendance reconquise par les peuples africains.  A l’heure actuelle, l’écart qui sépare, en termes de produit intérieur brut par habitant, les pays développés des pays des périphéries (Asie, Afrique et Amérique Latine) non seulement est gigantesque, mais il n’a jamais cessé de se creuser au cours des cinq siècles derniers.
Cet écart continue à se creuser. C’est cela la réalité du capitalisme mondial. Il ne s’agit pas là d’un fait  imaginaire. Il faut donc expliquer cette réalité. Comme je le disais, la théorie économique conventionnelle bourgeoise dominante l’explique par des raisons qui nous seraient propres. Nous sommes sous- développés par notre faute. Nous nous sommes mal intégrés dans le système capitaliste mondial, nous n’avons pas su  en tirer tous les bénéfices. Or en réalité nous ne nous sommes pas intégrés dans ce système par notre propre volonté, on nous a intégrés dans des conditions qui ont créé le sous développement chez nous.
Vous voulez dire que le sous- développement des pays du Sud est un fait imposé ?
Oui. Les pays dominants ont construit, façonné le système mondial dans lequel ils se sont intégrés. Par contre nos pays n’ont pas été invités à participer activement au façonnement du monde, ni hier ni encore aujourd’hui. Ils ne sont toujours pas des acteurs actifs ; ils restent des acteurs passifs. On exige de nous que nous nous ajustions à la mondialisation, sans pour autant nous associer à sa construction. Le sous-développement est le produit de cet ajustement inégal, asymétrique, imposé par les plus forts aux plus faibles ; On demande au Congo de s’ajuster à la mondialisation ; on ne le demande pas aux Etats Unis qui construisent cette mondialisation.
Comment cela s’est fait ?
C’est une longue histoire. Si vous lisez le livre édité par Demba Moussa Dembélé, j’y explique les étapes de cette histoire. Cette histoire commence avec la conquête des continents américains par les Européens à partir de la fin du XV siècle  et la fabrication d’une première périphérie américaine au service du capital marchand des pays de l’Europe atlantique, principalement de l’Angleterre, de la France, des Pays-Bas de l’époque.
L’Afrique a été en ce moment là, intégrée comme périphérie de la périphérie pour fournir la main d’œuvre esclave aux plantations d’Amérique, les colonies anglaises d’Amérique du nord, le Sud de ce que sont devenus les Etats-Unis d’Amérique, l’ensemble des pays des Caraïbes. Ensuite, nous avons eu au XIX siècle une deuxième forme d’intégration avec le développement industriel européen et la conquête coloniale. La conquête coloniale est une forme d’intégration brutale ;  nous n’avons  pas demandé à être colonisés.
Nous avons donc été intégrés en qualité de fournisseurs subalternes de matières premières, soit minières  (pétrole et  gaz,  cuivre, fer etc), soit agricoles. Ce modèle colonial se perpétue jusqu’à présent. Les productions destinées à l’exportation sont encore exclusivement des produits agricoles tropicaux d’une part et des produits minéraux et pétroliers d’autre part.
Quel est l’apport de votre pensée à ces pays ?
Je ne sais pas ce que ma pensée a  apporté. J’essaie d’apporter quelque chose à ceux qui mènent le combat pour la libération et un développement économique et social qui ait un sens, qui ne bénéficie pas exclusivement à cette petite minorité des bénéficiaires exclusifs de cette forme d’intégration inégale dans le système mondial. Pour être en mesure de proposer une alternative au modèle de la dépendance inégale, il faut partir d’une analyse de la réalité aussi correcte que possible. On ne peut pas imaginer une stratégie politique efficace sur la base d’une analyse erronée de la réalité. Mais, tout à l’heure, vous parliez de déconnexion. Oui j’ai tiré de l’analyse que je propose cette conclusion de stratégie politique : qu’il nous faut déconnecter. C’est-à-dire qu’il nous faut prendre nos distances à l’égard de ce système mondial capitaliste tel qu’il est.
Nos pays continuent toujours à fonctionner selon  le diktat des institutions de Brettons Woods. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Les institutions de Brettons Woods, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, auquel on devrait ajouter aujourd’hui l’OMC,  bien que cette organisation ne fasse pas partie formellement des institutions de Brettons Woods,  sont des institutions qui ont été créées par les pays  impérialistes dominants, les pays qui constituent ce que j’appelle la triade : les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.
Ce ne sont pas des institutions qui ont été créées par la Communauté internationale mais par la petite communauté des pays impérialistes. Cette petite communauté internationale ne représente que 15% de la population  de la planète. Nous ne sommes pas une minorité, nous sommes 85%. Et nous n’avons aucun rôle. On ne nous a pas demandé notre avis pour créer les institutions dont il est question ici. Ces institutions sont des instruments au service du capital impérialiste dominant. 
Qu’est-ce qu’il faut faire dans nos économies, surtout africaines ?
Il faut tout revoir. Il faut s’engager dans ce que nous appelons des projets souverains, c’est-à-dire des projets pensés par nous-mêmes, pour nous-mêmes, indépendamment des tendances et des pressions du système capitaliste mondial, autant que possible !  Ces projets souverains doivent être des projets d’industrialisation. Il n’y a pas de développement possible sans industrialisation. Il n’y a même pas de développement agricole, de sa modernisation efficace, sans industries pour la soutenir. Il faut marcher sur ses deux jambes.
Ce qu’on appelle,  notamment pour les pays africains, l’aide internationale, c’est-à-dire l’aide qui est prodiguée par la Banque mondiale, les agences de développement des pays impérialistes occidentaux, des Etats-Unis, de l’Union européenne, n’est pas véritablement une aide au développement. C’est un soutien financier destiné à nous maintenir dans notre situation de pays subordonnés, donc dans le sous développement.
Alors, il faut dire au revoir à tout cela et penser différemment. Il nous faut penser en termes de projets souverains. Est-ce possible ? Oui ; la Chine pense et agit dans ces termes, autant qu’elle le peut. D’autres pays tentent de mettre en oeuvre des projets souverains, partiellement au moins. Ce sont principalement de grands pays comme le Brésil, l’Inde. Reste que la grande majorité des pays du Sud, en particulier des pays africains, n’ont pas véritablement de projets souverains. On dit du continent africain que nous sommes handicapés par le fait que nous sommes généralement de petits pays. Cela n’est pas vrai pour tous les pays africains : l’Egypte avec 92 millions d’habitants, l’Ethiopie avec 90 millions d’habitants, le Nigeria avec 180 millions d’habitants ne sont pas des pays petits. Et pourtant l’économie du Nigeria n’est pas différente dans ses structures majeures de celle d’un petit pays comme le Bénin. C’est-à-dire que le Nigeria, bien qu’il ait 180 millions d’habitants, c’est une quinzaine de Bénin, rien de plus. L’avantage de la taille n’est pas mis à profit, même par les grands pays africains.
S’engager sur la voie d’un développement autonome, sur la base de projets souverains, n’est facile pour personne, même la Chine. Pour les pays de taille ordinaire, c’est évidemment encore plus difficile. Mais, il y a une marge, même si au départ cette marge est très limitée. Si certains pays africains amorçaient un développement autonome, indépendant, sur la base de projets souverains, même modestes au départ, cela ferait boule de neige. Et cela créerait des conditions favorables à un rapprochement, à une solidarité politique sans doute, mais aussi économique et peut-être même financière entre pays africains et pays du Sud plus généralement. Alors nous deviendrions des acteurs actifs dans le façonnement du monde. Nous nous imposerions comme tels.
Nous pouvons aussi approcher, bien que ce  ne soit pas facile, certains de ces pays qu’on appelle  les pays hybrides, émergents, dont certains comme la Chine sont devenus financièrement très puissants. Et on a vu au cours de la réunion à Johannesburg entre la Chine et les Etats africains des propositions de coopération. La balle est dans notre camp. C’est à nous de la saisir et d’ouvrir des négociations. Mais, on ne peut ouvrir des négociations que si l’on sait ce que l’on veut.
Où se situe le blocage ? Est-ce que c’est parce que nos pays ne veulent pas de cette autonomie ?
Le blocage se trouve dans les classes dirigeantes. Les classes dirigeantes dans les pays africains  comme dans les pays asiatiques et latino-américains, ont été largement produites et façonnées par l’intégration de leurs pays dans le système capitaliste mondial en qualité de partenaires subalternes dominés. J’utilise un terme qui a été employé pour la première fois par les communistes chinois, il y a longtemps, dans les années 1920-1930. C’est le terme de bourgeoisie compradore. C’est un mot portugais qui veut dire les commerçants, les acheteurs, les intermédiaires entre le monde dominant impérialiste et le monde local notamment de producteurs paysans.
Nos classes dominantes sont des classes compradores. Et je pourrai dire même des bureaucraties d’Etat, qui ne sont pas des classes d’entrepreneurs et qui ne sont pas toujours des propriétaires au sens capitaliste du terme, qu’elles sont des bureaucratiques  largement « compradore ». Donc, l’obstacle, il est chez nous effectivement, il est dans la nature des classes dominantes et du pouvoir politique. Mais le déploiement du mouvement social peut modifier la donne et créer ainsi les conditions d’une sortie de l’impasse.
Si on prend l’exemple du Sénégal particulièrement, on a un plan qu’on appelle Plan Sénégal émergent qu’on retrouve un peu partout en Afrique exemple au Gabon entre autres. Ce mot qui est devenu  en vogue. Quelle interprétation ou commentaire en faites-vous ?
En Afrique, l’Afrique du Sud, membre du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), est qualifiée de pays émergent. Pourtant l’économie de l’Afrique du Sud est restée jusqu’à ce jour exactement celle qu’elle était à l’époque de l’apartheid. L’apartheid politique a heureusement disparu, c’est un pas en avant. C’était la première condition nécessaire pour une émergence éventuelle. Mais au plan économique, l’Afrique du Sud reste une économie dépendante principalement de ses exportations de matières premières. Cette économie demeure intégralement dominée et gérée par le groupe financier international connu sous le nom de Anglo-American.C’est une économie qui n’est pas émergente. Il ne faut pas abuser du terme émergent. A l’heure actuelle il n’y a dans le monde qu’un seul pays authentiquement émergent,  la Chine. Il y a également deux autres pays émergents : la Corée du Sud et la province chinoise de Taiwan. Ce sont les seuls cas de pays véritablement émergents. Ce sont les seuls pays qui ont développé et continuent à développer leurs projets souverains indépendants.
Le gouvernement du Sénégal a élaboré un plan d’émergence. A cette fin il s’ouvre à de nouveaux partenaires, la Chine en particulier, capable de contribuer à la restauration du tissu industriel dévasté par trente ans de politiques néo libérales. Il revient au Sénégal maintenant de définir par quels moyens il peut amorcer le processus de son industrialisation. On ne peut que se féliciter de ces premiers pas dans la bonne direction. C’est le droit et le devoir de tous les Sénégalais de discuter librement de ce que ce projet devrait permettre et comment y parvenir, de s’exprimer sur les voies et moyens qui permettront aux organisations populaires de s’investir dans le débat. Pour ma part je me contente d’appeler l’attention sur les exigences et les difficultés du combat pour un développement authentique, national, populaire et démocratique, dont il faut savoir qu’il entre en conflit avec ce que les forces dominantes de la mondialisation capitaliste veulent imposer aux peuples du Sud.
Est-ce que les pays africains peuvent tourner le dos définitivement au Fmi et à la Banque mondiale ?
C’est nécessaire et souhaitable. Mais, je comprends très bien qu’ils ne puissent pas leur  tourner le dos du jour au lendemain. Parce que nous sommes insérés dans toutes sortes de relations financières et autres avec le monde capitaliste dominant en particulier avec l’Union européenne qui fait que ce n’est pas si facile. La preuve, quand la Grèce avec l’élection de Syriza a voulu remettre en question les conditions d’appartenance à la zone Euro, elle n’est pas parvenue à le faire.
Alors, je ne jetterai pas la pierre à un gouvernement africain qui, aujourd’hui, ne déclarerait pas qu’il sort demain des institutions internationales. Mais, il faut y penser et le préparer. En particulier en créant en parallèle d’autres relations, de nouvelles institutions nous associant avec les autres pays du Sud, d’Asie et de l’Amérique Latine. Et créer ainsi progressivement un système parallèle qui nous permettra un jour de dire  au revoir au système monétaire et financier international en place.
L’Afrique est un continent riche en matières premières. Mais, depuis quelques, temps on dit que c’est l’agriculture qui doit être le moteur du développement africain ?
Il faut marcher sur les deux jambes. Si nous prenons l’exemple du seul pays émergent qu’est la Chine, elle développe simultanément une très grande puissance industrielle, mais elle s’est aussi engagée dans la modernisation de son agriculture. La production agricole chinoise est en croissance continue, et c’est une des rares grandes régions du monde où il en est ainsi. Ce résultat est obtenu à travers des formules qui sont spécifiques au cas chinois, fondées sur renaissance de la petite production familiale soutenue par l’Etat, les provinces, et par toutes sortes d’organisations coopératives.
Est-ce que le Sénégal peut atteindre l’émergence en 2035 comme c’est prévu dans son programme ?
Tous les pays doivent ambitionner l’émergence. Le Sénégal bien entendu mais tous les pays. C’est possible et c’est nécessaire. Je ne vais pas fixer une date limite au processus.  Tout cela dépend de nos propres efforts et des batailles à mener contre la logique du système mondial qui nous empêche de le faire. 
Est-ce que les pays africains sont sur la bonne voie ?
Difficile de répondre à cette question. Dans l’ensemble l’Afrique ne répond pas encore au défit. Le Sénégal et quelques autres ont ouvert le débat. Il faut s’en féliciter et soutenir ces premières initiatives.
Votre pensée est celle du communisme. Est-ce qu’on peut dire que cette pensée communiste est morte ?
Non. Nous avons eu dans l’histoire moderne une première vague de révolutions au nom du socialisme conduites sous le drapeau du marxisme d’une manière ou d’une autre :  la révolution russe,  la grande révolution chinoise et quelques autres, Vietnam, Cuba. Ces révolutions ont donné ce qu’elles ont donné. Elles ont produit une transformation positive et gigantesque, mais insuffisante, minées par des contradictions qu’elles ne sont pas parvenu à surmonter par elles mêmes. Ce qui a créé les conditions favorables à une contre offensive de l’impérialiste à partir des années 1980-1990. Cela s’est soldé en ce qui concerne l’ex- Union soviétique par un effondrement. Mais d’autres pays comme la Chine ont réajusté leur politique. L’histoire n’est pas terminée.
Les pays africains sont aussi gangrénés par la corruption. Qu’est-ce qui explique cela ?
C’est une gangrène pas seulement pour l’Afrique mais pour le monde entier. Parce que la corruption n’est pas une spécificité africaine. Je dirais que le monde des affaires et  politique aux Etats-Unis et en Europe ne souffre pas moins de corruption, même si cela est moins visible. Et puis quand on parle de corruption, y a les corrupteurs et les corrompus. Et les corrupteurs ne sont pas moins responsables que les corrompus. Quand on dit de la classe politique grecque qu’elle est corrompue parce que certains d’entre eux ont signé avec la firme allemande « Siemens » des contrats léonins, va-t-on dire que Siemens n’est pas responsable ?
Les pays africains se tournent de plus en plus vers la Chine comme un partenaire privilégié ?
C’est une bonne  chose. C’est une bonne idée, mais il faut, même avec la Chine, savoir négocier. La Chine sait ce qu’elle veut. Elle a besoin comme un grand pays industriel de certaines matières premières énergiques et minérales qui lui manquent. Elle est prête à négocier des contre parties que les pays occidentaux ne sont pas disposés à négocier, comme le soutien à l’industrie. La triade impérialiste ne négocie pas, elle impose. L’aide est toujours conditionnée. D’abord vous devez accepter le diktat du Fmi et de la Banque mondiale c’est-à-dire le libéralisme sans contrôle. Et après les capitaux étrangers viendront vous développer, dit-on. Mais ces capitaux ne viennent pas !. En revanche la Chine ne pose pas de conditions. Elle n’impose pas le choix d’un système économique donné. Alors à nous de négocier et de savoir ce que nous voulons. Nous pourrions à travers des négociations avec la Chine, obtenir son soutien en contre partie de la fourniture de ce dont la Chine a besoin.
Est-ce qu’une croissance peut être ressentie dès l’instant qu’il y a une phagocytose ou une hégémonie  des entreprises étrangères ?
Il y a parfois un taux de croissance d’apparence acceptable dans certains pays africains. Mais en y regardant de prés, la nature de cette croissance apparaît comme fondée principalement sur l’immobilier, l’urbanisation des riches. Cette croissance est articulée à la consommation d’une petite minorité :10 à 15% de la population, pas plus. C’est une croissance malsaine. Cette croissance si vous la regardez de près, n’est pas une croissance industrielle, même fondée sur des délocalisations d’entreprises étrangères. Il n’y a pas en Afrique de croissance industrielle importante.
Le Cfa vient de fêter ses 70 ans. On parle aujourd’hui, d’autonomie. Est-ce qu’on peut parler d’indépendance là où on n’a pas une indépendance monétaire ?
Le développement d’un projet souverain, n’importe où dans le monde, que ce soit en Afrique ou ailleurs, implique la maitrise d’une monnaie nationale et de la gestion monétaire. La perspective ne peut pas être différente. Et je donne l’exemple encore une fois de la Chine : le Yuan est une véritable monnaie nationale, la Banque centrale chinoise est une banque d’Etat indépendante. Et la politique monétaire chinoise est décidée par le pouvoir chinois exclusivement. Que ce pouvoir soit contraint, dans certaines limites, de tenir compte des pressions imposées par le système mondial, oui, mais la décision finale est celle du gouvernement chinois. Aucun pays africain ne dispose de cette maitrise nationale de sa monnaie, ni ceux de la zone cfa, ni ceux qui disposent d’une monnaie nationale d’apparence indépendante.
Qu’est-ce que cela peut poser comme dommages ?
C’est un élément de la reproduction de l’inégalité dans le développement.
Aujourd’hui on parle d’Union africaine depuis longtemps. Est-ce que vous pensez que c’est une mauvaise volonté politique qui fait que cette union tarde à se faire ?
Au lendemain de l’indépendance de la majorité des pays africains en 1960, s’étaient créés deux groupes de pays. Le groupe de Casablanca avec à l’époque l’Egypte, le Maroc, Mali, la Guinée et le Ghana, d’une part qui proclamaient que la reconquête politique devrait être suivie de développement économique indépendant et non néocolonial. Et les autres pays africains dans leur majorité, le groupe de Monrovia. En 1963, l’OUA a été créée à Adis Abéba par la fusion des deux groupes avec des concessions mutuelles. Depuis, l’OUA a rempli certaines fonctions dans l’histoire de l’Afrique. Elle a soutenu les luttes de libération dans les pays qui n’avaient pas été encore libérés, les colonies portugaises, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud. C’est un rôle tout à fait positif. Mais à part ce rôle politique positif, l’OUA n’a pas mis en place des éléments d’une intégration économique, parce que les systèmes économiques dans leur grande majorité étaient  restés ce qu’ils avaient été à l’époque coloniale et post coloniale, des systèmes dépendants.
L’Union Africaine  n’est pas tellement différente de l’OUA. C’est le nom qui a été changé. L’UA se cherche une vocation puisque les luttes de libération sont achevées sur le continent africain. Mais une organisation internationale n’est jamais que le reflet de ce que sont ses membres. Si les pays africains prennent des initiatives pour amorcer des projets souverains, alors il se pourrait que le rapport de force au sein de l’UA  se modifie en faveur d’un rôle positif de l’UA dans le développement général du continent.

Samba DIAMANKA

Publié dans le numéro 379, lundi 8 février 2016, Dakar

lundi 7 mars 2016

Samir Amin A propos de Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe (2015)



Samir Amin
A propos de Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe (2015)

1.
Tour de force qui mérite toutes les félicitations possibles. Corm est parvenu à offrir au lecteur francophone un tableau presque complet et parfait de la pensée dans le monde arabe moderne (XIXe et XXe siècles). Un travail qu’un érudit aurait mis des années à conclure ; seule la grande culture de Corm a permis d’aller rapidement à l’essentiel. Le tour d’horizon est presque complet, bien que la pensée des marxistes arabes ait été réduite à une portion congrue. Corm est parfois trop complaisant à l’égard de certains, que je tiens pour plutôt superficiels ou même médiocres, indépendamment de leur opinion. Mais on peut le comprendre ; il tenait à se situer au-dessus de la mêlée pour proposer un tableau aussi objectif que possible. Je crois être un bon lecteur de l’ouvrage, ayant lu la presque totalité des écrits cités, à l’exception des quelques « encyclopédies » un peu trop ennuyeuses. J’invite donc le lecteur francophone qui ne lit pas l’arabe à faire confiance à Corm : à mon humble avis les présentations vont à l’essentiel et frappent juste.

2.
Corm part, comme il le fallait, des origines : l’égyptien Tahtawi et le syrien Kawakibi, premières expressions du « désir de modernité » des Arabes des XIXe et XXe siècles. J’estime néanmoins que son éloge de la Nahda est discutable. J’ai qualifié le parcours de celle-ci « d’avortement » : Afghani n’est qu’un politicien manœuvrier (c’est aussi l’opinion de Corm) ; mais Mohammad Abdou n’est pas « un grand réformateur de l’Islam », mais seulement un conciliateur conservateur superficiel; et la dérive de Rachid Reda (que Corm reconnaît) n’est pas le fruit de hasard. La Nahda ne saisit pas la portée de la Renaissance européenne qui construit le mythe de ses origines grecques pour dépasser son passé chrétien ; elle n’est donc pas une re-naissance, mais une naissance tout court, celle de la modernité qui se donne le droit d’inventer en rupture avec son propre passé. La Nahda par contre prend au mot le terme de Renaissance et se propose donc de retourner à la source de l’Islam des origines ; elle s’interdit par là même de saisir le sens de la laïcité nécessaire. Pour cette raison je considère que  Ali Abderrazek et Taha Hussein ont en fait rompu avec la ligne du parcours initiée par la Nahda plus qu’ils ne l’ont prolongé. Certes ni Corm ni moi-même n’ignorons que la Nahda ne se résume pas aux trois noms (Afghani, Abdou, Reda). Le magnifique renouvellement de la langue arabe, accompli en Egypte et en Syrie (et dont Louis Awad, cité par Corm, est le meilleur analyste) a été l’instrument sans lequel les débats ultérieurs n’auraient pas été possibles.

En partant de cette considération, je suis tenté de « classer » les penseurs arabes du XXe siècle en trois grandes catégories : les penseurs critiques (qu’ils aient été marxistes ou pas du tout) ; les calamiteux (l’Islam politique) ; les conciliateurs. Corm, pour des raisons estimables, le laisse comprendre sans insistance.

Je peux aller vite sur la longue liste des penseurs authentiquement critiques pour lesquels Corm nous offre des présentations justes et élogieuses, méritées : Sati el Housri, Aziz Azmeh, Constantin Zuraik, Yacine el Hafez, Sadek Jalal el Azm, Nazih Ayubi, Tarabishi, Youssef Zaidan, Paul Khoury, Hussein Amin, Nasr Abou Zeid, Sayed el Qimni, Nasif Nassar, Jaber Al Ansari. Sans oublier les premières grandes féministes et les hommes qui ont soutenu leurs luttes. Leur lecture m’avait beaucoup apporté  dans ma tentative, à mon tour, d’expliquer les raisons de « l’échec », que j’ai qualifié « d’émergence avortée à répétition » ; celle de l’Egypte, de la Syrie, de l’Iraq, de l’Algérie, comme celle des deux autres grandes nations de la région, la Turquie et l’Iran. Il reste que les allusions de Corm aux « marxistes » sont beaucoup trop brèves : Fawzy Mansour (et, au passage, moi-même), Mehdi Amel – Hamdan, Tayeb el Tizini, Hussein Mroué, Elias Morcos, Anouar Abdel Malek.

La liste des « calamiteux » est courte, réduite de facto au fondateur (Rachid Reda, le dernier de la Nahda, dont ma lecture  de la pénible revue Al Manar m’avait coupé le souffle !), et à son élève Sayed Qotb (Corm signale ici la critique que j’ai adressée à son livre majeur). Ce « Coran » de tous les islamistes « jihadistes » contemporains est recopié des affabulations du Pakistanais Abul  Alaa Al Mawdudi, elles-mêmes fac-similé des écrits des « orientalistes » de Sa Majesté britannique, dont la mission était d’organiser le démembrement de l’Inde ! Il reste que, comme Corm et moi-même le disons, ces affabulations constituent la référence exclusive des « experts » du monde « arabo-islamique », aux Etats Unis et en Europe. Je n’éprouve pas de difficulté à ranger avec Corm dans cette catégorie les « penseurs » ralliés à l’Islam politique contemporain, passablement confus, sans doute par opportunisme politique, comme Hassan Hanafi, Tarek el Bishri, Adel Hussein.

Les conciliateurs méritent qu’on y regarde de plus près. Au-delà des fondateurs du XIXe siècle auxquels on ne saurait faire le reproche de n’avoir pas imaginé le sort que le capitalisme/impérialisme réellement existant réservait à leurs pays – la première génération des années 1920-1930, compte de grands noms. Les Egyptiens Taha Hussein, Ahmad Loutfi el Sayyed, Ismail Mazhar, sans oublier – plus tôt -  l’Emir Abdel Kader l’Algérien, livrent des batailles homériques pour la bonne cause de la démocratie (fut-elle bourgeoise), des droits humains et de la laïcité qui en est inséparable. Mais ils n’ont pas laissé d’héritage. Les conciliateurs d’aujourd’hui ne sont guère que des médiocres, sans esprit critique, ralliés sans condition au prétendu libéralisme de la mondialisation économique, « démocrates » du bout des lèvres. Ils nourrissent l’espoir (ou font semblant, par opportunisme politique) d’un Islam politique « démocratique » représenté par les Frères Musulmans ! Les bons historiens des Frères Musulmans (Amr Elshobashi, que Corm cite, Chérif Amir que j’ai cité) ont démontré que cet  « espoir » n’était qu’une illusion, utile pour le déploiement de l’alliance stratégique entre les puissances impérialistes et l’Islam réactionnaire, fut-il « terroriste » dans sa dérive fatale (soutenue par l’allié majeur des Etats Unis et de l’Europe subalterne : l’Arabie Saoudite). Je n’éprouverai aucune difficulté à ranger dans cette catégorie le Prince Talal de Jordanie (et son Forum de la « pensée » arabe !), Larbi Sadiki quelques autres. Jabri, pour lequel Corm reprend la critique ravageuse de Tarabishi – qui est aussi la mienne – trouve également sa place ici. La frontière entre les conciliateurs et ceux qui sont tout simplement médiocres, incapables de pensée critique, devient, de ce fait, floue. Je m’abstiendrai de citer leurs noms, parfois trop généreusement qualifiés par Corm.

Corm donne une certaine importance à quelques célébrités – à mon avis discutables : Albert Hourani et Hisham Sharabi dont je partage la critique de Corm, Ahmad Amin (en dépit de sa prise de position sympathique pour les Mutazilites), Edward Saïd (à propos duquel je partage la critique ravageuse que Sadek Jalal El Azm a fait de son « eurocentrisme inversé »), Hicham Djaïd (dont la « Grande discorde » n’est guère qu’un fac-similé de ce que Taha Hussein avait écrit), Laraoui (qui par son plaidoyer en faveur de la démocratie sans référence au pouvoir des classes compradores ne gêne pas le Maghzen marocain !). Mais le succès de leurs écrits justifie la place que Corm leur donne dans son panorama.

Corm donne leur part à deux bons historiens (Hanna Batatu et Abdel Aziz el Duri), dont la lecture m’avait été fort utile. Il donne aussi une bonne place aux seuls authentiques économistes critiques, les autres n’étant que des élèves – bons ou moins bons – de l’économie académique conventionnelle. Je partage donc son éloge de Youssef Sayegh et de Massoud Daher (qui a comparé l’échec arabe au succès du Japon ; j’ai de mon côté dressé la comparaison avec la Chine). Excès de modestie oblige : j’aurai placé Corm en tête de cette courte liste ! Nous lui devons la meilleure analyse de l’Etat rentier.

Corm a parfaitement raison de réfuter la perception – à la mode en Occident – d’une « pensée chiite » différente en soi, comme d’une « pensée des chrétiens d’Orient », ou des « Alaouites », « Druzes » et autres. Il démontre que la pensée des plus célèbres d’entre eux – entre autres Chakib et Adel Arslane (druzes), Zaki el Arsouzi, Michel Aflak, comme celle à l’origine de Amal puis de Hezbollah du Sud Liban, est tout simplement une pensée « arabe », comme celle des autres, et non une pensée de paroisse particulière, comme on se plait à vouloir le faire croire dans la littérature occidentale à la mode.

3.
Avec intelligence Corm situe les penseurs arabes qu’il présente dans leurs rapports avec les courants qui se sont exprimés dans la vie politique arabe. En premier lieu le nassérisme bien sûr. J’en avais fait une critique de gauche précoce, publiée dans plusieurs de mes ouvrages successifs (en arabe et en français). J’avais proposé également une critique de l’Algérie de Boumedienne. Corm donne plus de place à sa présentation (critique) du Baath ; ce qu’on peut comprendre compte tenu de sa nationalité. En tout état de cause Corm maîtrise ce dernier sujet bien mieux que d’autres, moi inclus. On comprend aussi la place (trop courte à mon avis) qu’il donne aux « Qawmiyin ». J’avais pour ma part placé beaucoup d’espoir dans leur entreprise, et je ne le regrette pas, même si la, suite de l’histoire a dissipé ces espoirs. Mais Corm donne aussi pas mal d’importance au Parti Populaire Syrien d’Antoun Saade ; encore une fois je comprends cet intérêt particulier venant d’un Libanais. Mais alors pourquoi si peu d’intérêt pour les communistes arabes ?

Dans ce cadre Corm donne une place particulière, méritée, à deux institutions : le Centre d’Etudes de l’Unité arabe (Kheireddine Hasseeb) et l’Institut des Etudes Palestiniennes (Samir Kassir et autres). Je n’ai rien à ajouter à ce qu’il dit de cette seconde institution. Par contre Corm est fort bienveillant à l’endroit du Centre de Khereddine Hasseeb. A la grande époque du Centre, dans ses colloques fréquents auxquels je participais souvent, je me retrouvais avec la toute petite minorité qui osait poser les questions gênantes. Tout était à la gloire du nationalisme panarabe d’apparence triomphant. La critique de gauche du « déficit de démocratie » pour le moins qu’on puisse dire n’était pas audible. Plus tard, le nassérisme et le Baath dépassés par la défaite, les assemblées n’ont plus réuni que toujours les mêmes, nostalgiques et vieillissants. C’est alors que Hasseeb a cru nécessaire de s’ouvrir à l’islamisme envahissant, qu’il pensait instrumentaliser au bénéfice d’un renouveau du nationalisme arabe. J’étais persuadé du contraire : que l’Islam jihadiste récupérerait à son seul profit les nostalgiques du temps passé. Ce que l’histoire a confirmé.

Dans sa présentation de la pensée arabe, Corm laisse bien paraître ce que sont en réalité les islamistes du jihad : des alliés précieux des puissances occidentales, sans vision économique capable de remettre en question la soumission aux exigences de la mondialisation néolibérale laquelle constitue la préoccupation exclusive de ces puissances. La création en 1969, à l’initiative de l’Arabie Saoudite et du Pakistan, de l’OCI (Organisation de coopération islamique), pour contrer le Mouvement des Non Alignés – et Corm le rappelle au lecteur – témoigne du caractère ultraréactionnaire et pro-impérialiste de cette dérive. En même temps il fallait, pour gagner l’opinion occidentale, « passer de la pommade » et faire croire que la reconnaissance de cet Islamisme (d’un pseudo-islam en fait) conditionnait le progrès de la démocratie !

Corm insiste à juste titre sur le gommage progressif de la question centrale concernant la Palestine. L’antisionisme du mouvement nationaliste arabe n’était en aucune manière le produit d’un « antisémitisme arabe » (deux termes contradictoires par nature !). Je rappelais à cet endroit que l’Islam est fort proche du Judaïsme, dont il n’est que la formulation arabisée. Les travaux remarquables de Corm sur les trois religions dites monothéistes m’avaient aidé à avancer dans cette direction. Corm rappelle à ses lecteurs que la dérive islamiste a permis d’oublier la question palestinienne ; et l’alliance de facto Etats Unis (et Europe)/Arabie Saoudite (et Qatar)/ Israël/ Turquie (Otan) selle ce gommage. Comment donc des nationalistes arabes ont-ils pu penser nécessaire et utile leur ralliement à cet islamisme ?

La dérive jihadiste de l’Islam politique réactionnaire était inscrite dans les gênes de ce courant de fascisme du Sud. Et l’adhésion de masses populaires désorientées par le manque d’audace des propositions alternatives des gauches historiques n’est hélas, ici comme ailleurs dans le monde, que la porte par laquelle s’engouffrent les fascismes renaissants. Les atermoiements des conciliateurs prennent dans ces conditions l’allure de capitulation. Je rappelle  que lorsque Mahmoud Taha (cité par Corm)  – le fondateur d’un « Fiqh du Tahrir » (l’équivalent de la théologie chrétienne de la libération) – a été pendu à Khartoum, nous ne fûmes que deux – en Egypte – à exprimer notre indignation. Un journaliste de l’Ahram a fait l’observation pleine d’humour que ce furent deux communistes : Ismaïl Abdalla et Samir Amin ! Les conciliateurs contactés à cet effet se sont récusés  tous ; crainte de déplaire à l’Arabie Saoudite ! J’ai par la suite insisté pour voir l’œuvre de Taha traduite et publiée en France.

Si Corm avait donné un peu plus de place aux contributions des communistes arabes, sa démonstration en aurait gagné en force. Pourquoi ignorer les contributions des communistes qui en Irak et au Soudan n’ont pas eu moins d’écho que celles d’autres courants de la politique arabe ? J’ai pour ma, part publié en arabe plus de trente ouvrages dont dix entre 1978 et 2016 concernent directement la pensée politique arabe. Comme Corm je plaçais l’accent (dans mon livre « Nahw Nazaria lil thaqafa » – critique de l’eurocentrisme) sur la plasticité de l’Islam, comme du christianisme, du bouddhisme et de la pensée confucéenne, capables de réinterprétations nécessaires. Ma conclusion était que ce n’est pas le durcissement de l’Islam qui explique la « décadence arabe », mais que c’est celle-ci – produite par d’autres raisons extérieures à la religion – qui explique l’involution dans l’interprétation de l’Islam. Une vingtaine de mes ouvrages se donnaient l’objectif de faire connaître au lecteur arabe la pensée critique économique et politique à vocation universelle, faisant contraste avec les ouvrages de la plupart des conciliateurs – et de quelques islamistes – qui ne connaissent guère que la pensée occidentale conventionnelle acritique. Certes la pensée communiste arabe « officielle » (celle des Partis) a souffert d’une bonne dose de superficialité et de dogmatisme. Plus que la pensée des autres courants de la politique arabe ? Je ne le crois pas. De surcroit je ne crois pas que mes analyses puissent être rangées dans cette catégorie de dogmatisme.

L’ouvrage de Corm – en dépit de ce trou fâcheux – restera la référence nécessaire pour les lecteurs francophones auxquels il s’adresse. La pensée unique – en France, en Europe, aux Etats Unis – s’emploie à faire croire que « l’Islam est insécable » comme le dit si bien Corm, qui démontre le contraire. Des bataillons d’« experts » autoproclamés (que Corm, à juste titre, récuse d’un revers de manche), sont conviés à tout propos par les médias du système (François Burgat, Olivier Roy etc.), et répètent à satiété les mêmes billevesées qui conviennent pour donner l’apparence de légitimité aux interventions des pouvoirs de cet Occident. J’ai qualifié ces « experts » de « clergé médiatique au service de l’aristocratie financière ».