SAMIR
AMIN Dakar, 13 mai 2014
Le
renouveau du Mouvement des Pays Non Alignés
1.
Nous vivons dans
un système de mondialisation déséquilibrée, inégale et injuste. Aux uns tous
les droits d’accès aux ressources de la Planète pour leur usage, et même
gaspillage, exclusifs. Aux autres l’obligation d’accepter cet ordre et de
s’ajuster à ses exigences, quitte à renoncer à leur propre développement,
allant jusqu’à renoncer au droit à la nourriture de base, à l’éducation et à la
santé, à la vie même, pour de larges segments de leurs peuples – les nôtres.
Cet ordre injuste est qualifié de « mondialisation » ou de
« globalisation ».
Nous devrions même accepter que les puissances
bénéficiaires de cet ordre mondial injuste, principalement les Etats Unis et
l’Union Européenne, associés militaires dans l’OTAN, auraient le droit
d’intervenir par la force armée pour faire respecter leurs droits abusifs
d’accéder à l’usage – voire au pillage – de nos richesses. Ils le font sous des
prétextes divers – la guerre préventive contre le terrorisme, évoqué lorsque
cela leur convient. Ils le font en prétextant qu’ils viennent libérer nos
peuples de dictateurs sanglants. Mais les faits démontrent que ni en Iraq, ni
en Lybie par exemple leur intervention a permis de restaurer la démocratie. Ces
interventions ont simplement détruit les Etats et les sociétés concernés. Elles
n’ont pas ouvert la voie au progrès et à la démocratie, mais l’ont fermé.
Notre mouvement
pourrait donc être qualifié de Mouvement des Pays Non Alignés sur la
Globalisation. Je précise : nous ne sommes pas des adversaires de
toute forme de mondialisation. Nous sommes les adversaires de cette forme
injuste de mondialisation dont nous sommes les victimes.
2.
Les réponses que nous voulons donner à ce défi sont simples à formuler dans
leurs grands principes.
Nous avons le droit de
choisir notre propre voie de développement. Les puissances qui ont été et
demeurent les bénéficiaires de l’ordre en place doivent, elles, accepter de
s’ajuster aux exigences de notre développement. L’ajustement doit être mutuel,
non pas unilatéral. Ce n’est pas aux faibles de s’ajuster aux exigences des
forts, c’est à l’inverse des forts qu’on doit exiger qu’ils s’ajustent aux
besoins des faibles. Le principe du droit est conçu pour cela, pour réparer les
injustices, et non pas les perpétuer. Nous avons donc le droit de mettre en
œuvre nos propres projets souverains de développement. Ce que les ténors de la
globalisation en place nous refusent.
Nos projets souverains
de développement doivent être conçus pour permettre à nos nations et à nos
Etats de s’industrialiser comme ils l’entendent, dans les structures juridiques
et sociales de leur choix, celles qui nous permettent de capter puis de
développer par nous-mêmes les technologies modernes. Ils doivent être conçus
pour garantir notre souveraineté alimentaire, et permettre à toutes les strates
de nos peuples d’être les bénéficiaires du développement, mettre un terme aux
processus de paupérisation en cours.
La mise en œuvre de nos
projets souverains exige que nous reconquérions notre souveraineté financière.
Ce n’est pas à nous de nous ajuster au pillage financier pour le plus grand
profit des banques des puissances économiques dominantes. Le système financier
mondial doit, lui, être contraint de s’ajuster à ce qu’implique notre
souveraineté.
Il nous appartient à
nous de définir ensemble les voies et moyens de développement de notre
coopération Sud-Sud qui peuvent faciliter le succès de nos projets souverains
de développement.
3.
Notre mouvement peut et doit agir au sein de l’ONU pour restaurer ses droits,
bafoués par l’ordre de la globalisation injuste en place.
A l’heure actuelle un
soi-disant « Communauté Internationale » autoproclamée s’est
substituée à l’ONU. Les médias des puissances dominantes n’ont cesse de
répéter : « La Communauté Internationale pense ceci ou cela, décide
ceci ou cela ». En regardant de plus près on découvre que la « Communauté
internationale » invoquée est constituée par les Etats Unis, l’Union
Européenne et deux ou trois pays triés sur le volet par les premiers, comme par
exemple l’Arabie Séoudite ou le Qatar.
Y a-t-il plus grave
insulte à nos peuples que cette auto-proclamation ? La Chine, l’Algérie,
l’Egypte, le Sénégal, l’Angola, le Venezuela, le Brésil, la Thaïlande, la Russie,
le Costa Rica et tant d’autre n’existent plus. Ils n’ont plus le droit de faire
entendre leur voix dans la Communauté Internationale.
Oui, nous portons la
grande responsabilité dans l’enceinte de l’ONU, où nous constituons un groupe
numérique majeur, d’exiger la restauration des droits de l’ONU, le seul cadre
acceptable pour l’expression de la Communauté Internationale.
4.
Nous pouvons maintenant jeter un regard sur notre passé, qui nous offre une
belle leçon de ce que nous avons été et que nous devrions être à nouveau.
Le Mouvement des Non
Alignés s’est constitué en 1960, dans la voie ouverte par la Conférence de
Bandoung en 1955, pour affirmer les droits de nos peuples et nations d’Asie et
d’Afrique, alors non encore reconnus comme dignes d’être des partenaires égaux
dans la reconstruction de l’ordre mondial. Notre mouvement n’a pas été le sous
produit du conflit des deux puissances majeures de l’époque – les Etats Unis et
l’URSS – et de la « guerre froide », comme on essaye de nous le faire
croire. Au lendemain de la seconde guerre mondiale l’Asie et l’Afrique étaient
encore largement soumises au colonialisme odieux. Nos peuples étaient engagés
dans des luttes puissantes pour la reconquête de notre indépendance, par des
moyens pacifiques ou par la guerre de libération s’il le fallait. Ayant
reconquis notre indépendance et restauré l’existence de nos Etats nous nous
sommes retrouvés en conflit avec l’ordre mondial qu’on voulait nous imposer à
l’époque. Notre Mouvement des Pays Non Alignés a alors proclamé notre droit à
choisir les voies de notre développement, a mis en œuvre ce droit et a
contraint les puissances de l’époque à s’ajuster aux exigences de notre
développement.
Certaines puissances de
l’époque l’ont accepté. D’autres non. Les puissances occidentales – les Etats
Unis et les pays de ce qui allait devenir l’Union Européenne, déjà associés depuis 1949 dans l’OTAN – n’ont jamais caché
leur hostilité à nos projets propres de développement indépendant. Ils nous ont
combattus par tous les moyens dont ils disposaient. D’autres puissances, l’URSS
en premier lieu, ont choisi une autre voie à notre égard. Elles ont accepté et
même parfois soutenu les positions du Mouvement des Pays Non Alignés. La
puissance militaire que l’URSS de
l’époque représentait a, de ce fait, limité les possibilités d’agression des
nostalgiques du colonialisme et toujours fervents défenseurs de l’ordre
international injuste.
Nous pouvons donc dire
que même si le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de 1960 – constatation
d’une évidence banale – le Mouvement Non Alignés d’il y a 60 ans était déjà un Mouvement
des Non Alignés sur la Globalisation, celle qu’on
voulait nous imposer à l’époque.
5. J’attends
beaucoup de la Conférence Ministérielle des MPNA, prévue à Alger du 26 au 29
Mai prochain. C’est notre Conférence, celle de nos peuples et de nos Etats.
Qu’ils fassent avancer nos positions dans la restauration du droit égal de tous
les Etats à contribuer à la re-construction d’une mondialisation juste.
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