SAMIR
AMIN
Lecture
critique de Steve Keen (L’imposture économique ; Debunking Economics)
1.
Je dois tout d’abord dire que j’ai lu l’ouvrage de
Steve Keen (L’imposture économique) avec la plus grande délectation, et
de surcroît j’y ai appris beaucoup. Je n’ai rien lu d’aussi convaincant
concernant l’absurdité, l’absence de réalisme élémentaire, les hypothèses
absurdes et les fautes impardonnables de logique de toute l’économie vulgaire, le
mainstream auto-qualifié d’économie
« néo-classique ». J’étais pour ma part, convaincu du caractère
idéologique au sens le plus péjoratif du terme, de tout ce fatras qui encombre
l’enseignement universitaire. Pour cette raison je n’avais jamais cru utile de
perdre du temps à en faire la démonstration par un examen détaillé et précis
des développements des « prix Nobel ». Je m’étais donc contenté de
signaler rapidement l’absurdité et les fautes de logique de
toutes les écoles de l’économie conventionnelle, dont la seule
préoccupation réelle était d’opposer à l’analyse scientifique du capitalisme
amorcée par Marx une alternative « anti Marx ». Le lecteur de mon livre précoce L’accumulation à l’échelle mondiale
(écrit sous forme de thèse de doctorat en 1954-1955 et présentée en 1957)
comprendra que ma préoccupation était d’emblée de poursuivre l’œuvre de Marx
par une analyse du capitalisme moderne mondialisé dans les formes et les
conditions qui les caractérisaient à l’époque, c’est-à-dire aux lendemains de
la seconde guerre mondiale dans les années 1950. Je ne donnais pas beaucoup
d’importance à la critique de l’économie académique conventionnelle de l’époque
qui venait en marge de ma préoccupation majeure d’intellectuel engagé, soucieux
de contribuer à renforcer les luttes progressistes par la meilleure analyse
possible de la réalité capitaliste. Dans ce cadre il me paraissait essentiel de
placer l’accent dans cette analyse de la réalité sur les mécanismes de la
reproduction inégale du capitalisme mondialisé, c’est-à-dire du contraste
centres impérialistes dominants/périphéries dominées en lutte pour leur
émancipation.
Cela
étant une critique sérieuse de l’économie conventionnelle demeurait nécessaire.
Car les idées fausses véhiculées par celle-ci ne limitent pas leurs effets
ravageurs aux économistes professionnels et aux pouvoirs de décisions de la
classe dirigeante bourgeoise ; elles ont inculqué le « virus
libéral » (titre d’un de mes ouvrages publié en 2003) aux classes populaires
elles-mêmes. Je suis donc personnellement reconnaissant à Steve Keen de l’avoir
fait, brillamment.
2.
Il ne me serait pas difficile de signaler nos convergences
fondamentales, même si mes formulations de celles-ci étaient rapides.
(i) J’avais commencé
ma carrière universitaire par des études de mathématiques et de physique que
j’ai abandonnées pour choisir « l’économie » de manière à me garantir
une vie professionnelle en meilleure consonance avec ma volonté militante. Mes
compétences mathématiques (un peu oubliées depuis !) m’avaient fait voir
que les économistes prétendus mathématiciens n’étaient que de fort mauvais
mathématiciens. J’ai écrit que les professions scientifiques ne les auraient
pas employés, tant leurs insuffisances étaient éclatantes. Par exemple
assimiler le terme d’une courbe qui tend vers zéro à zéro revient à ignorer les
effets réels de la forme décisive et particulière de la courbe en question.
(ii) J’affirmais que
la règle générale n’est pas celle de coûts croissants mais décroissants ;
et que, de ce fait, les firmes cherchent naturellement à grandir, condition
nécessaire pour elles de conserver leur place sur le marché et donc de faire du
profit. « Size is decisive », j’écrivais. L’accumulation
conduit naturellement à la firme géante, à l’oligopole (ou au monopole).
(iii)J’affirmais
que le système économique capitaliste réel se déplace de déséquilibre en
déséquilibre sans jamais « tendre à l’équilibre ». Chacun des
déséquilibres successifs est le produit des luttes sociales des travailleurs,
des conflits entre segments du capital, des Etats-nations du système
mondialisé, dont les résultats modifient les conditions de la poursuite de
l’accumulation.
(iv)Je
déduisais de la proposition précédente la vanité – et non pertinence – de la
recherche des conditions d’un équilibre général des marchés. Je critiquais
Walras pour sa tentative de le faire et faisais observer que la condition pour
qu’il en soit ainsi était l’existence d’un « Commissaire-Priseur »,
véritable Dieu qui sait tout à l’avance, connait toutes les réactions de tous
et tous leurs effets. L’équilibre général serait alors le produit instantané
de cette connaissance parfaite de tous les agents opérant sur les marchés.
(v)J’ai par
la suite affiné cette observation en appelant l’attention sur la distinction au
moins entre deux familles de marchés : les marchés de biens
d’investissement réels (production et achat de machines nouvelles) et les
marchés des titres de propriété du capital (actions entre autres). Il n’y a pas
de marché généralisé qui permette de les confondre, sauf à considérer la
monnaie comme inexistante. La financiarisation est immanente au capitalisme.
(vi)J’ai
également affiné ma critique de l’économie conventionnelle en tournant en dérision
son recours aux « anticipations » et, encore plus, aux
« anticipations rationnelles ». Celles-ci, à la limite, conduisent à
l’absurdité de Debreu : imaginer un monde d’individus tous égaux à Dieu,
connaissant à l’avance tout l’avenir. Alors seulement la décision de chacun
d’entre eux et de tous ensemble produirait instantanément l’équilibre
général, le seul possible et donc le meilleur.
(vii)J’ai
tourné également en dérision l’hypothèse nécessaire à la théorie
conventionnelle de l’équilibre général qui suppose au départ une distribution
des cartes (les avoirs constitués par des titres propriétés
individuelles) ; et derrière cette hypothèse, celle d’un « despote
juste » qui en décide, sans qu’on sache comment le qualificatif moral de
juste se traduit par une distribution particulière des cartes.
Toutes ces considérations fondamentales procèdent simplement
de mon refus de faire de l’économie une
science intemporelle et transhistorique. Avec Marx, je plaçais le matérialisme
historique – l’histoire réelle- en amont de l’analyse des formes économiques
propres aux époques successives et aux lieux différents dans le cadre desquels
opèrent ces formes économiques. « Theory is History » ais-je
écrit.
3.
La convergence entre mes écrits et ceux de Steve Keen
va au-delà des observations rapides de la section précédente.
(i) J’ai mis en
relief – dès l’Accumulation, et
précisé par la suite – ce que j’entends par ce que j’ai qualifié de « rôle
actif de la monnaie (du crédit) dans l’accumulation ». Celle-ci exige pour
chacune des phases de son déploiement (correspondant au temps commandé par
l’usage d’équipements jusqu’à ce que ceux-ci deviennent vétustes et doivent
être remplacés par des équipements nouveaux plus efficaces) une avance de
crédit dont j’ai donné la formule permettant son calcul précis. La demande
(sociale) de monnaie (crédit) détermine son offre. Il n’y a pas d’offre de
monnaie indépendante de sa demande.
(ii) J’ai fait apparaître
la relation qui liait le taux des salaires réels apparemment
nécessaires pour permettre le fonctionnement de l’accumulation
définie par la répartition du travail et des équipements entre le département I
de production de biens d’équipements et le département II de production de
biens de consommation. J’en ai déduit que la satisfaction de cette adéquation
ne produisait pas de baisse tendancielle du taux de profit. Cela étant
j’ajoutais immédiatement que les luttes sociales (autour du salaire réel) n’agissaient
pas comme un révélateur magique du taux de salaire réel nécessaire (l’équivalent
donc de la main invisible des défenseurs du marché). J’ai rejoint sur cette
question les analyses de Baran et Sweezy : la tendance normale dominante
dans le capitalisme est de ne pas permettre aux salaires réels d’augmenter en
proportion des progrès de la productivité du travail social, et que de ce fait,
aux deux départements de Marx il faut ajouter un département III d’absorption
du surplus. Le capitalisme ne peut pas fonctionner autrement.
(iii)J’ai
complété (et même « révisé ») Marx dans deux domaines : celui
concernant la détermination des niveaux de la rente foncière et minière, celui
concernant la détermination du taux de l’intérêt, distinct du profit. Mais ces
deux questions n’intéressent pas directement mon appréciation de Steve Keen qui
est l’objet de cette note.
4.
Sur un point fondamental je diffère de Steve Keen, et
entend rester sur mes positions, n’ayant pas été convaincu par les
développements consacrés par Steve Keen à la critique de Marx et aux erreurs de
logique qu’il lui attribue.
La transformation des valeurs en prix de production, faite
correctement (c’est-à-dire en exprimant la contribution des entrants productifs
eux-mêmes en prix de production et non en valeurs) ne permet pas au taux de
profit dégagé du système des prix de production d’être égal à celui fourni par
le système des valeurs. Tous les critiques bourgeois de Marx – Bohm Bawerk puis
tous les néoclassiques – en ont conclu à « l’erreur de Marx » et
l’échec de sa tentative de considérer le travail comme source des valeurs à
partir desquels les prix peuvent être déterminés. Sraffa et Keen, eux-mêmes
critiques de l’économie néoclassique, partagent ce point de vue des marxiens
sraffistes dont Keen reprend les développements (Ian Steedman, Ronald Meek,
Arun Bose).
Cette critique de Marx n’a pour moi, aucun sens. La
différence entre les deux taux de profit considérés est normale ai-je toujours
dit ; elle reflète le phénomène de l’aliénation économiste (parfois
qualifiée d’aliénation marchande) propre au capitalisme. Car si les deux taux
de profit étaient égaux cela signifierait que le phénomène de l’exploitation du
travail par le capital est transparent – comme l’était par exemple l’exploitation
du paysan serf : le paysan travaille trois jours pour lui-même sur la
terre qui lui est allouée et trois jours pour le seigneur maître du sol. Le
propre du capitalisme est précisément d’opacifier l’exploitation, puisque le
salarié qui vend sa force de travail croît vendre son travail. La critique de
Marx en question procède d’une philosophie empiriste – dominante dans la culture anglo-saxonne – qui ne connaît et ne
retient que l’apparence immédiate des phénomènes, en l’occurrence les prix
constatés.
Ayant fait sienne cette critique, Keen se rabat sur Sraffa
qui développe un modèle de marché généralisé exprimé directement en prix.
Malheureusement le modèle de Sraffa (voir la critique que j’en fais dans La loi de la valeur mondialisée) ne
prouve rien ; elle illustre seulement la réalité immédiate. Dans le modèle
de Sraffa les prix dégagés du système dépendent de la répartition du revenu
entre les salaires et les profits ; alors que dans celui de Marx les
valeurs sont indépendantes de celle-ci.
Chez Sraffa bien entendu la production des marchandises (et
les prix qu’elle permet de dégager) est bel et bien une production qui met en
œuvre le travail et des marchandises (les équipements et les matières
premières). L’observation est triviale. Marx n’a jamais assimilé le travail à
la prononciation de paroles magiques qui par elles-mêmes produiraient des
« choses », comme le font les sorciers. Le travail met en œuvre
d’autres marchandises – les équipements et les matières premières – qu’il
transforme en de nouvelles valeurs d’usage (des biens de consommation et
d’autres équipements).
L’argument de Sraffa est que finalement la transformation (la
déduction des prix à partir des valeurs) implique un regard en arrière sans
fin. Car les biens d’équipements utilisés aujourd’hui ont été produits hier et
ceux-ci avec d’autres biens d’équipements produits avant-hier. La série sans
fin remontera jusqu’à Adam et Eve. Replacée dans cette série sans fin les
marchandises sont des objets qui sont donc bien toujours produits avec d’autres
objets et du travail. L’observation est correcte, mais triviale : oui,
nous ne serions pas capables aujourd’hui de fabriquer ce qui nous produisons
sans la contribution de nos ancêtres. Cette observation ne nous aide pas
beaucoup à comprendre comment les marchandises sont produites aujourd’hui, dans
le cadre des rapports sociaux propres au capitalisme, fort différents de ceux
qui régissaient l’organisation de la société des chasseurs d’il y a dix mille
ans qui utilisaient eux également des objets pour leur chasse – des flèches par
exemple.
L’argument de Sraffa n’est pas différent de celui de
l’économie vulgaire qui se veut intemporelle et transhistorique. En apparence
directe, le travail, les équipements et la nature contribuent bien à la
production. La nature, ajoutée ici, n’est pas non plus extérieure au résultat
du travail : le même travail avec les mêmes équipements donnera plus de
blé sur une terre arrosée par des pluies suffisantes que sur une terre aride
non irriguée. Mais encore une fois cette observation triviale ahistorique ne
nous dit rien sur le fonctionnement de l’agriculture d’aujourd’hui, dans le
capitalisme.
Bohm Bawerk était le premier à avoir vu que le modèle de
Sraffa (qu’il ne connaissait pas, évidemment ; il parlait d’un modèle général
des marchés, à la façon de son époque) impliquait finalement le recours à une
série projetée sur un passé sans fin. « Dater » le travail, comparer
la valeur du travail d’aujourd’hui à celle d’hier, d’avant-hier,
d’avant-avant-hier. Pour cela il faut un taux de dépréciation du passé, ou, si
on se place dans le passé, de dépréciation du futur. Mais quel taux
choisir ? Si on veut remonter à Adam et Eve, un pour mille ou un pour dix
mille peut-être paraîtrait convenable. Dans ce sens le « temps » est
« productif » au sens banal que le passé permet le présent. Encore
une fois observation triviale : la production exige du temps, elle n’est
jamais instantanée comme l’est la création sortie des paroles magiques du
sorcier. Ou bien on donnera au taux de dépréciation du futur la valeur que lui
attribuent les êtres humains d’aujourd’hui : 10% par exemple, ou
50% ? Mais là encore il n’existe pas de règle rationnelle valable pour
tous les êtres humains d’aujourd’hui qui permette la mesure précise et égale
pour tous de cette dépréciation. Pour l’individu affamé un pain aujourd’hui
vaut plus que mille pains demain, quand il sera mort ; pour le riche sûr
de son avenir un pain aujourd’hui et un pain demain se valent.
Marx évite le recours à toutes ces trivialités d’une anthropologie
de café du commerce. Il décide donc d’examiner comment la production est
organisée aujourd’hui dans le capitalisme par la répartition du travail et des
équipements disponibles aujourd’hui entre les deux séries de productions concomitantes :
celle des biens de consommation et celle des biens d’équipement nécessaires à
les produire dans les conditions d’aujourd’hui.
Lorsque nous disons – avec Marx – « aujourd’hui »
nous n’entendrons pas l’instant du
moment, comme le suppose toujours la théorie de l’équilibre général, mais une phase définie par l’usage de certains
équipements – ceux que les connaissances scientifiques et technologiques de la
société permettent de mettre en œuvre efficacement. Dans un modèle de
reproduction simple (stationnaire) la valeur des biens de consommation et celle
des biens d’équipement sont intégralement le produit de cette connaissance
technologique et de la répartition des équipements et du travail entre les deux
départements de production ; il s’agit de productions concomitantes et
non successives. Mais dans un modèle de reproduction élargie (de croissance
de la production) les avancées des connaissances technologiques permettent pour
la période suivante une plus grande production de biens de consommation et de
biens d’équipements avec la même quantité de travail direct total, employé dans
les deux départements. Dans ce sens les biens d’équipement successifs inventés
et mis en œuvre ont des valeurs d’usage différentes d’une phase à l’autre. Keen
a, sur ce point, parfaitement raison : Marx n’ignore pas la valeur
d’usage ; il la combine avec la valeur d’échange. Keen a parfaitement
raison de dire que le marxisme simplifié et vulgarisé qui gomme l’existence de
la valeur d’usage trahit ce que Marx pense et écrit. Sans la prise en
considération de cette valeur d’usage la phrase de Marx affirmant que le
capitalisme « révolutionne en permanence la production » n’aurait pas
de sens.
En choisissant de partir, pour construire le modèle de la
reproduction, du volume des équipements disponibles aujourd’hui, qui sont
appropriés à titre privé par chacun des capitalistes, qui sont divers à
l’extrême (des machines différentes ayant des valeurs d’usage spécifiques), et
qui seront réparties convenablement pour la production de chacun des deux
départements, Marx paraît éluder la question de l’origine de ces biens
d’équipements et de la répartition de leur appropriation. Keen a, sur le sujet,
parfaitement raison de dire que cette question se pose également à tous les
fabricants de modèles de fonctionnement du marché. Keen a parfaitement raison
de faire observer que l’économie conventionnelle doit, pour donner une
légitimité à la répartition de ce stock, recourir au « despote » qui
distribue les cartes de départ. Marx évite cette hypothèse irréaliste et
incongrue. Il lui substitue une analyse historique des moyens par lesquels
certains (devenant la bourgeoisie moderne) ont dépossédé les autres (les
producteurs directs anciens) de la propriété de leurs moyens de production. Les
enclosures expropriant les paysans pauvres et les condamnant à émigrer
vers les villes pour vendre leur force de travail, et par la suite la
concurrence permettant à certains capitalistes d’en éliminer d’autres,
constituent la trame de cette histoire réelle, qui fait contraste avec les
élucubrations concernant la répartition des cartes de départ.
Au terme de la critique que j’ai proposée de Walras, de
Sraffa et de toute l’économie conventionnelle j’ai mis en relief le concept –
que je crois être celui de Marx – de productivité du travail social. Celle-ci
n’est pas la productivité d’un travail séparé des moyens de production qu’il
met en œuvre et qui de surcroît opère dans des conditions naturelles données.
Marx associe les travaux concrets, les équipements permis par les connaissances
du temps, les conditions naturelles de la production, ce que l’économie
conventionnelle dissocie pour tenter de mesurer séparément la productivité du
travail du capital, des ressources naturelles. Sachant que l’économie
conventionnelle échoue à établir la mesure de ces productivités séparées les
unes des autres, comme Keen le démontre brillamment.
L’association que Marx fait de ce qu’on pourrait consentir à
qualifier de « facteurs » de production – travail concret,
équipements particuliers, ressources naturelles disponibles – implique qu’on
poursuive le travail de Marx, concernant la transformation des travaux concrets
(participant à des productions de valeurs d’usage différentes) en travail
abstrait. J’ai proposé dans ce domaine une réponse à cette question (voir Three
essays on Marx’s Theory of Value).
L’échec de Keen – substituer aux deux théories économiques
erronées, celle des néoclassiques et celle de Marx une nouvelle théorie
économique plus à même de comprendre notre monde – éclate dans les dernières
pages de son ouvrage. Les développements qu’il consacre à Hayek, aux écoles
postkeynésiennes et sraffiennes, à la théorie de la complexité et à l’école
évolutionniste sont – à mon avis – d’une grande pauvreté. Je n’y trouve rien
d’important qui puisse nous aider à mieux comprendre le monde contemporain.
Bien entendu je partage le point de vue de Keen : mieux
comprendre le monde actuel exige encore beaucoup d’efforts de réflexions ;
et l’exégèse de Marx n’est pas un substitut efficace à la critique de
l’économie conventionnelle. Il faut poursuivre l’œuvre de Marx sans hésiter à
innover. Ce que j’ai tenté de faire, en toute modestie. Les modèles de chaos,
associés à la théorie de la complexité (qui a toujours été celle de Marx)
méritent d’être mieux étudiés qu’ils ne l’ont été jusqu’ici. Et je souhaite,
sur ce plan, bonne chance à Keen.
Keen avait vu la crise financière venir, avec de très bons
arguments. Je fais seulement observer que l’équipement marxiste qui est le mien
m’avait également amené à la même conclusion d’une grande crise financière
inévitable, inscrite dans la logique du nouveau capitalisme des monopoles
généralisés (Ref. Samir Amin et André Gunder Frank, N’attendons pas 1984 ; 1978).Interrogé par un journaliste en
2002 je prévoyais l’effondrement financier. A quelle date, me demandera-t-il ?
Dans moins de dix ans, lui ai-je répondu. Mon analyse distinguait le marché des
équipements réels de celui des titres financiers de propriété du capital, une
distribution refusée par principe par l’hypothèse absurde de l’économie des
« anticipations rationnelles ». J’avais, pour les mêmes raisons
prévue dès l’origine la non viabilité du système de l’euro, qui éclate sous nos
yeux aujourd’hui.