Automne du capitalisme, printemps des peuples?
Le capitalisme ne constitue qu’une parenthèse brève
dans la longue histoire de l’humanité ; mais une parenthèse décisive parce
qu’elle a réuni les conditions matérielles (par un développement prodigieux des
forces productives et des connaissances scientifiques) et culturelles (par
l’affirmation de la modernité, fondée sur le principe que les êtres humains
font leur histoire, se substituant au principe traditionnel de la fidélité aux
croyances des ancêtres) qui permettent d’imaginer un avenir communiste, conçu
comme une étape supérieure de la civilisation universelle, substituant les
valeurs d’égalité et de solidarité (fondements de la démocratisation
authentique de la gestion sociale dans toutes ses dimensions) à celle de la
compétition au service du profit immédiat.
Néanmoins, aujourd’hui, l’option humaniste et
rationnelle en faveur du communisme (à travers une longue transition
socialiste) n’a pas le vent en poupe. L’opinion générale paraît acquise à
l’idée qu’il faut vivre dans le présent, s’y faire sa place individuelle, renoncer
à penser l’avenir. Dans cette atmosphère de résignation consentie, les peuples
renoncent à l’action collective nécessaire et possible pour « changer le
monde ». Ils renoncent donc à l’exercice indispensable de leurs droits
souverains à la démocratie en affirmant leur réserve à l’égard de la
« politique ». Les obstacles leur paraissent infranchissables,
d’autant plus que même lorsque – exceptionnellement – ils parviennent à
remporter quelques victoires dans le cadre de leurs institutions nationales,
les contraintes de la mondialisation se chargent d’annihiler rapidement leurs
espoirs. Ils sont alors fortement tentés de faire crédit à des idéologies
populistes prétendues « antipolitiques » qui leur inspirent de nouvelles
illusions, passéistes.
Et pourtant la société capitaliste mondialisée
contemporaine est déjà visblement entrée dans une crise systémique dont elle ne
peut pas sortir sans remettre en cause les axiomes fondamentaux du capitalisme.
Mais l’automne du capitalisme ne deviendra synonyme de printemps des peuples
que lorsque ceux-ci sortiront de leur résignation pour s’engager par l’exercice
démocratique de leur autonomie dans une stratégie lucide et efficace de
transition socialiste au communisme.
Les peuples ont vécu dans le passé dans le cadre de
systèmes stabilisés dans la longue durée, séculaire, voire millénaire. Le
parcours historique du capitalisme fait contraste : une longue incubation
préparatoire à son éclosion (dix siècles), un temps court de floraison resplendissante
(le XIXe siècle) suivi d’un long déclin qui a déjà occupé tout le siècle
dernier et pourrait se prolonger encore longtemps.
La formation des monopoles de la fin du XIXe siècle,
met un terme à la transparence de la compétitivité des marchés et lui substitue
l’opacité de leur gestion manipulée par les monopoles. Ce mouvement s’est
accéléré au cours du dernier tiers du XXe siècle. La centralisation du pouvoir
de contrôle des monopoles a réduit toutes les activités économiques au statut
de sous-traitants ; la valeur créée par ces activités est alors captée
pour être transformée en rente des monopoles.
Ce système s’enferme alors dans une contradiction
fatale. Avec l’inégalité dans la répartition du revenu et de la richesse, en
croissance permanente, une masse grandissante de la rente des monopoles ne peut
plus trouver de débouchés dans le financement de la croissance, et doit se
réfugier dans la fuite en avant de la finance spéculaire. Les crises normales
du capitalisme étaient en U ; la même
logique qui avait conduit à la récession, après une période courte de
restructurations limitées, commandait la reprise. Notre crise systémique est en
L , c’est-à-dire que la logique qui est à son origine
ne permet plus de sortir de l’ornière ; les transformations structurelles
nécessaires pour le permettre sont inacceptables parce qu’elles devraient
abolir les avantages des monopoles. Or ceux-ci se sont emparés de tous les
pouvoirs : la permanence de leur pouvoir économique est désormais garantie
par l’exercice de leur pouvoir politique exclusif. Autrement dit il n’y a pas
de sortie possible de la crise systémique autre que l’option socialiste. Il ne
s’agit plus de sortir de la crise du capitalisme, mais de sortir du capitalisme
en crise.
La possibilité d’une prise de conscience lucide du
caractère fatal de cette contradiction est annihilée par le discours du
« néolibéralisme » qui affirme que les marchés sont autorégulateurs.
C’est scientifiquement faux, mais le virus libéral en a convaincu
l’opinion ! Rien alors ne s’oppose à la poursuite de l’exercice du pouvoir
politique absolu de l’oligarchie financière (le « un pourcent » des
manifestants de Occupy Wall Street). Les partis politiques de droite et de
gauche ralliés derrière la bannière de l’ordo-libéralisme perdent leur
crédibilité, alimentant ainsi la montée de « l’anti-politique ». Les
élections n’ont plus de portée ; pour le pouvoir en place elles ne sont
d’ailleurs « légitimes » que dans la mesure où elles sont conformes
aux exigences dites du marché. La démocratie représentative électorale,
pluripartite, abolit alors ce qui constitue l’essence de l’exercice du droit
démocratique : celui de changer de système. La démocratie de basse
intensité ouvre la voie au succès des discours démagogiques des populismes néo-fascistes
et des illusions passéistes.
La possibilité de la remise en cause politique du
système étant de cette manière annihilée, la contradiction fatale en question
est surmontée par la mise en œuvre de moyens de contrôle de la mondialisation
d’une violence extrême. L’expansion mondialisée du capitalisme a toujours été
dès l’origine (et demeure) polarisante. Les centres du système – les puissances
impérialistes – façonnent la mondialisation par la mise en œuvre de politiques
systématiques à chacune des étapes successives de son développement. Les
périphéries sont façonnées de cette manière par un ajustement structurel
permanent qui leur est imposé. L’impérialisme est le capitalisme historique
sont indissociables. De nos jours l’odo-libéralisme mondialisé remplit cette
fonction.
La contradiction entre les nations et les peuples
des périphéries et les classes dominantes des centres impérialistes est devenue
la contradiction motrice majeure du changement possible du monde. Le Sud c’est
la « zone des tempêtes » et ce n’est donc pas un hasard si la
première vague de révolutions du XXe siècle faites au nom du socialisme est
partie de la Russie (le « maillon faible » disait Lénine) et de la
Chine, et pris une forme atténuée avec les libérations nationales d’Asie et d’Afrique.
Aujourd’hui un remake de cette histoire pourrait se dessiner, d’autant
que le nouvel impérialisme collectif de la triade (Etats Unis, Europe, Japon)
n’a plus de moyens pour perpétuer la domination mondiale de ses monopoles
financiers autres que la guerre permanente contre les nations et les peuples du
Sud réfractaires. L’objectif de ces interventions n’est plus de mettre en place
des systèmes de pouvoirs locaux à la solde, mais de détruire les sociétés
concernées comme on le voit en Irak, en Lybie, en Syrie, au Congo.
Un remake du XXe siècle ne répond pas aux
exigences de notre temps. Le capitalisme n’opère plus à travers des
« destructions constructives » comme Schumpeter l’imaginait. Sa
dimension triplement destructive, de l’individu (réduit au statut de
consommateur), de la nature, de sociétés entières, et les moyens à la disposition
de cette destruction massive, imposent une stratégie socialiste concertée de
tous les peuples du Nord et du Sud, la coordination des avancées de projets
souverains nationaux populaires par lesquels le processus de la transformation
globale pourrait s’amorcer. A défaut le pire est probable : la mise en
place de systèmes néofascistes au Nord et au Sud.
Boukharine disait que les révolutionnaires sont des
opportunistes qui ont des principes ; ils savent saisir l’occasion d’une
situation révolutionnaire. Nous sommes dans cette situation, mais l’opportunité
sera perdue si les gauches radicales manquent de l’audace nécessaire pour en
saisir l’occasion
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