SAMIR AMIN ; 24 dec 2017
Catalogne, Espagne, Autriche, Europe ….la
dérive
1. Le chaos qui s’exprime en Catalogne par le
partage égal de l’opinion entre
« indépendantistes » et
« unionistes » défit la raison. Car chacun des camps est lui-même
partagé entre droite néo libérale réactionnaire affichée et gauches davantage
sensibles aux conditions déplorables faites aux travailleurs. Certes certains
de ces partis de gauche sont ralliés au libéralisme (ce qui constitue une
contradiction en soi !) ; mais d’autres sont potentiellement anti
capitalistes, même s’ils partagent les illusions – majoritaires en Europe – de
la possibilité de « réformer les institutions de l’Union
européenne », pourtant construites en béton armé pour que cela soit
impossible.
Néanmoins, en dépit de ces différences, les uns
et les autres donnent priorité à leur choix « national » (ou mieux
« nationalitaire »). Ils sont même disposés à gouverner ensemble une
coalition hétéroclite « indépendantiste » ou « unioniste ».
Je n’ai entendu qu’un seul participant catalan à ces débats – le représentant
de Podemos – oser dire clairement qu’il ne conçoit pas son soutien à une
coalition quelconque dirigée par la droite.
L’idéologie dominante est donc parvenue à ses
fins : substituer à la priorité d’une conscience sociale (la lutte de
classes) la primauté d’autres identités, en l’occurrence nationale. Il s’agit
d’une dérive tragique.
2. Le drame catalan est celui de l’Espagne. A la
mort de Franco il paraissait
possible de voir ceux qui avaient défendu la
République pendant la guerre civile, sinon prendre leur revanche par la
violence, du moins déraciner le franquisme. Mais l’Europe a, à cette occasion,
montré son véritable visage réactionnaire : il fallait sauver le
franquisme de la débâcle. L’Europe a donc imposé le Roi franquiste, l’adhésion
de l’Espagne à l’Otan, l’interdiction d’invoquer même les crimes du fascisme.
Il est vrai que, par conviction pour certains et par opportunisme pour d’autres
la presque totalité des forces politiques espagnoles ont accepté ces conditions
honteuses.
Le franquisme est donc toujours bien vivant et
domine la droite avouée. Celle-ci continue à partager avec le franquisme son
refus de donner sa place à la diversité des composantes nationales de la
société. Rajoy en a donné un bel exemple ! Or pendant la guerre civile la
majorité catalane avait soutenu avec une grande résolution la République. Mais
elle n’était pas seule à le faire : Madrid républicain en donne le
témoignage.
3. La page du fascisme n’est donc toujours pas tournée,
ni en Espagne ni
ailleurs en Europe. Car il ne s’agit pas là
d’une « erreur de jugement exceptionnelle » des Européens. La
droite qui domine les institutions de l’Union et l’a construite en béton armé pour
que son monopole ne puisse pas être remis en question, démontre tous les jours
et partout « qu’elle préfère le fascisme au front populaire ». L’entrée
fracassante des fascistes aux postes clés du gouvernement en Autriche, aux
côtés d’un misérable jeune imbécile de droite choisi à cet effet, en donne un
bel exemple. Il n’est pas le seul. L’Europe soutient les fascistes en Ukraine
et dans les Etats baltes. Marine le Pen est devenue un personnage fréquentable
etc.
Le pouvoir dans le capitalisme contemporain des
monopoles est devenu totalitaire. Fondé sur le ralliement libéral des gauches
historiques majoritaires ce totalitarisme se manifeste par l’émergence d’un
parti de fait unique (celui des monopoles) qui revêt des masques différents et
exerce son pouvoir de domination totale et exclusive dans tous les
domaines : la gestion de l’économie, celle des médias et de la politique.
Ce totalitarisme, encore « soft » est déterminé à devenir dur
si les luttes populaires parviennent à remettre en question son monopole.
Cette dérive de la société dans toute l’Europe
doit inquiéter et interpelle tous ceux qui en sont conscients ; elle ne
présage rien de bon.
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