LA GEOSTRATEGIE DES ETATS UNIS EN PANNE
EGYPTE 2015
« La
Révolution n’a pas changé le régime, mais elle a changé le peuple »
(écrit sur les murs du Caire)
Depuis la première édition de ce livre (septembre 2011) beaucoup d’eau
a coulé sous les ponts du Caire, dont cette nouvelle édition (septembre 2015)
se doit de rendre compte. Observateur et acteur sur la scène politique
égyptienne, j’avais d’ailleurs estimé nécessaire de publier en arabe, au Caire,
une mise à jour de mes premières analyses de la « révolution » en
cours. L’ouvrage, sous le titre de « La révolution égyptienne après le 30
juin » est paru en septembre 2013, au lendemain du triomphe de Sissi. J’ai
également publié une cinquantaine d’articles et d’interviews, principalement en
arabe, accessoirement en français et en anglais, entre l’été 2011 et le
printemps 2015.
Il est utile de rappeler, pour le lecteur francophone, les faits
saillants dont cette histoire a été ponctuée, à partir du 25 janvier 2011
(quinze millions de manifestants
exigeant le départ de Moubarak ; les Frères Musulmans condamnent la
manifestation)
28 janvier 2011 : évasion massive des prisons du Caire des Frères
Musulmans et de détenus de droit commun, libérés par l’intervention de milices
du Hamas (Les Frères Musulmans qui gouvernent Gaza), pénétrés illégalement en
Egypte.
11 février 2011 : abdication de Moubarak en faveur du Conseil
Suprême des Forces Armées (CSFA) présidé par le maréchal Tantaoui.
Mars 2011 : réforme de la Constitution élaborée par un groupe de
juristes désignés par le CSFA, tous proches des Frères Musulmans, adoptée à la
hâte par référendum.
Octobre/novembre 2011 : élections parlementaires remportées par
les Frères (50% des voix exprimées) et les Salafistes (25%)
Avril 2012 : invalidation des élections parlementaires par la Cour
Constitutionnelle, pour fraude massive.
Juin 2012 : élections présidentielles dont la date rapprochée
avait été décidée par le maréchal Tantaoui, avec l’accord de l’ambassadrice des
Etats Unis (Anne Patterson), et après la libération de Khayrat el Shater
(dirigeant suprême de facto des Frères Musulmans). De quatre à cinq millions de
voix vont à chacun des quatre candidats majeurs : deux Frères Musulmans
dont Morsi, Hamdin Sabbahi (nassérien), le général Shafiq (ancien ministre de
Moubarak). Au second tour Morsi l’aurait emporté sur Shafiq. C’est du moins ce
que l’ambassade des Etats Unis s’est empressée de déclarer avant même que le
Conseil Constitutionnel ne se soit prononcé.
Décembre 2012 et semaines suivantes : coups d’Etat à répétition de
Morsi qui effectue des changements arbitraires dans la Constitution, institue
un « Conseil Législatif » constitué presqu’intégralement de Frères
Musulmans, désigne les membres d’une Commission (également tous Frères
Musulmans) chargée d’élaborer un projet de « Constitution islamique ».
30 juin 2013 : manifestation monstre contre Morsi et le gouvernement
des Frères Musulmans (trente millions de participants).
3 juillet 2013 : Abdel Fattah el Sissi, qui a succédé à Tantaoui
mis à la retraite par le CSFA, démet Morsi, dissout le Conseil législatif et
annule le projet de Constitution islamique.
Décembre 2013 : les Frères Musulmans, interdits, sont déclarés
organisation terroriste.
4 Janvier 2014 : second référendum constitutionnel ; la
constitution est approuvée avec 98 % des voix exprimées.
Mai/Juin 2014 : élections présidentielles ; Sissi l’emporte
avec plus de 95% des voix exprimés, contre son
rival Sabbahi.
Mars 2015 : grande conférence économique internationale organisée
à Sharm el Sheikh ; objectif : obtenir des participations financières
étrangères aux grands projets égyptiens ( doublement de la voie du Canal de
Suez, exploitation du pétrole et du gaz).
Bien entendu je reviendrai dans ce chapitre sur ces farces électorales
à répétition, sur le soutien sans défaillance apporté par les Etats Unis à leur
allié préférentiel (les Frères Musulmans), sur les actes de gangstérisme
fasciste pratiqués par Morsi et ses comparses au gouvernement pendant un an,
facteur décisif de leur chute.
L’Egypte à la Une des médias
L’Egypte est
depuis 2011 fréquemment à la Une des informations internationales. Mais il
s’agit plus souvent de désinformation. Certains faits sont montés en épingle
(quelques centaines de manifestants Frères Musulmans sont présentés comme une
immense démonstration de force), d’autres cachés (comme la campagne de
signatures – vingt cinq millions effectivement collectées – exigeant la
démission du Président Morsi ; jamais mentionnée). Mais au-delà de la
sélection des « faits », la désinformation concerne l’analyse de la
situation et la définition des défis. Le clergé médiatique au service de
l’aristocratie financière des puissances de l’OTAN et ses alliés du Golfe (en
particulier la chaîne de El Djazireh) dominent la scène. Le discours reproduit ad nauseam la même chanson : les
concepts et les ambitions du nationalisme – nassérien en l’occurrence – et du
communisme relèvent d’un passé irrévocablement révolu, l’époque de la guerre
froide ; la démocratie électorale et l’ajustement aux exigences de la
mondialisation libérale sont les seuls objectifs réalistes, les seuls porteurs
du progrès possible ; les peuples, en particulier ceux des pays musulmans,
ont toujours donné et donnent à nouveau plus que jamais, une place prioritaire
dans l’expression de leur identité à leur croyances religieuses ; de ce
fait le seul « mouvement de masse » qui existe en Egypte, et dans
bien d’autres pays, est représenté par le courant islamique ; ce courant
islamique est pluriel et différencié et n’est pas par nature incompatible avec la
démocratie ; en particulier les Frères Musulmans en Egypte sont capables
de se convertir à la démocratie ; l’Egypte a été gouvernée depuis 1952
(soit soixante-dix ans) par des dictatures militaires ; la première
élection libre en Egypte a porté des civils – Frères Musulmans et Salafistes en
forte majorité – au Parlement et à la Présidence ; le Président élu –
Morsi – a été renversé par un coup d’Etat militaire le 3 Juillet 2013 ; la
seule solution acceptable pour sortir du chaos et écarter la menace de « guerre
civile » exige le retour au pouvoir du Président civil élu.
Chacune de ces
affirmations est contraire à ce que la moindre analyse sérieuse de l’histoire
et des évènements en cours, en Egypte et partout ailleurs dans le monde,
permettrait de conclure. Il ne s’agit donc ni « d’information
objective », ni « d’analyse réaliste », mais tout simplement
d’intoxication par la propagande des pouvoirs majeurs en place : le
capital international financier et les instruments politiques à sa seule
dévotion.
Complots ou
stratégie de reconquête impérialiste ?
En Tunisie et
en Egypte l’explosion généralisée de la colère populaire en 2010 et 2011 était
prévisible. Des signes avant-coureurs forts – les grèves des mineurs de Gafsa
en Tunisie, les grèves à répétition en Egypte, la première manifestation osée
organisée au Caire par Kefaya – en
annonçaient l’imminence. L’explosion a quand même surpris l’opinion générale, à
l’exception de quelques individus et peut être d’embryon de partis
potentiellement radicaux ; elle a certainement surpris également les
pouvoirs en place et leurs sponsors (la CIA entre autre). Ces deux mouvements
populaires se sont exprimés à travers des manifestations pacifiques
gigantesques en grande partie spontanées associant un large éventail de forces
sociales dont les motifs de colère étaient de ce fait divers et variés, même
s’ils devraient être largement potentiellement convergents. La diversité des
composantes du mouvement de colère générale, l’émiettement des revendications
(droits démocratiques, justice sociale) et l’absence – ou la faiblesse extrême
– de leur organisation, constituent les raisons évidentes de la réduction de
leur revendication à ce stade à un seul objectif : chasser Ben Ali et
Moubarak. Les puissances qui soutenaient les régimes en question, soumis aux
diktats de la mondialisation libérale imposés par la logique de l’impérialisme
dominant de la triade (Etats Unis – Europe – Japon) ont alors lâché les deux
dictateurs, sans pour autant renoncer à annihiler la portée du mouvement. Et
pour y parvenir, les Etats Unis et leurs alliés subalternes européens ont
choisi de faire intervenir les Frères Musulmans pour désorienter et récupérer
la « révolution ».
L’arc en ciel
des courants de l’Islam politique réactionnaire – Frères Musulmans, Salafistes,
djihadistes – peut paraître ne constituer qu’une nébuleuse diverse et
variée ; et les médias dominants le présentent de cette manière. Je
reviendrai plus loin sur le double dénominateur commun qui réunit ces
organisations – qualifiées de terroristes pour les unes, d’Islam
« démocratique » pour d’autres : (i) leur projet théocratique
anti-démocratique par nature ; (ii) leur adhésion à la gestion capitaliste
néolibérale ultra réactionnaire et antipopulaire du système économique et
social, le seul objectif réel poursuivi par la triade impérialiste.
On sait – ou on
devrait savoir – que les Frères Musulmans ont dans un premier temps pris
position contre l’explosion populaire en Egypte, pour s’y rallier par la suite,
avec l’accord des Etats Unis et de l’Europe.
L’intervention
des puissances impérialistes est multiforme. Elle se manifeste par l’alliance
politique ouverte et renouvelée entre Washington (et derrière elle des
capitales européennes) et l’Islam politique réactionnaire. Je dis bien
renouvellement, puisque, comme je l’ai illustré dans le chapitre premier de cet
ouvrage, cette alliance fonctionnait déjà depuis longtemps ; je dirai même
depuis la création des Frères Musulmans en 1928. Mais cette intervention met en
œuvre également d’autres moyens « modernes » : l’infiltration
des mouvements populaires par la CIA, via la pléthore d’ONG à son service. Les
livres de Chérif Amir (L’histoire secrète
des Frères Musulmans ; 2014) et de Michel Raimbaud (Tempête sur le Grand Moyen-Orient, 2014)
en fournissent des preuves établies. Ces manipulations poursuivent l’objectif
de maintenir et d’approfondir l’émiettement du mouvement, le condamnant de ce
fait à demeurer incapable de formuler et de mettre en œuvre une stratégie
positive amorçant la transformation progressiste de la société ; de semer
la confusion idéologique en substituant à la critique radicale du libéralisme
mondialisé et impérialiste l’éloge de la diversité et la dérive en direction de
la défense « d’identités » prétendues primordiales.
S’agit-il de
« complot permanent » ? Non, il s’agit d’une stratégie cohérente
et malheureusement efficace jusqu’à ce jour, faute de cristallisation d’une
gauche alternative radicale et audacieuse, seule capable d’unir – dans la
diversité – les revendications légitimes des victimes du système. Cela étant
cette stratégie n’exclut pas les « complots », loin de là. La
diplomatie de Washington, et les interventions de la CIA se complètent.
Renverser un Président élu comme Allende le 11 Septembre 1973, assassiner
(aujourd’hui par l’utilisation de dromes) tel ou tel adversaire, constituent par
eux-mêmes des procédés qu’il faudrait qualifier de leur nom véritable :
complot, terrorisme d’Etat.
Ayant tiré la
leçon de leur surprise première face aux explosion tunisienne et égyptienne,
Washington a alors décidé de devancer des mouvements analogues, possibles ou
non ailleurs, par, cette fois, l’intervention brutale directe et la guerre
préventive, en Lybie et en Syrie, au Yémen ; et l’Islam politique
réactionnaire armé a été sollicité à cette fin.
Dès le départ
de prétendus mouvements de révolte libyens qui en réalité n’étaient ni
populaires, ni pacifistes, mais constitués de petits groupes armés, se sont
attaqués aux forces de l’ordre (police et armée) ; et, dans la même
foulée, le jour même de leur intervention, ont appelé les forces de l’OTAN à leur
secours. On sait ce que cela a produit : au-delà de l’assassinat de
Kadhafi, l’éclatement du pays livré aux seigneurs de guerre et évidemment pas
le moindre progrès démocratique. Erreur de calcul des puissances de
l’OTAN ? Non, stratégie qui est parvenue à ses fins véritables.
En Syrie où un
terrain favorable à l’explosion populaire fermentait depuis le ralliement du
régime du Baas tardif à « l’infitah » (la soumission aux exigences de
la mondialisation en place), des manifestations pacifistes amorçaient un autre
« printemps arabe ». Mais simultanément, et dès le premier jour, les
Frères Musulmans et des djihadistes armés attaquaient les forces de l’ordre et
réclamaient à leur tour l’intervention de l’OTAN (et de la Turquie à la fois
islamiste et membre de l’OTAN). Ce qui leur a été accordé. Laurent Fabius –
l’ami inconditionnel d’Israël – n’est-il pas allé jusqu’à oser dire que les
djihadistes de Nosra « font du bon boulot en Syrie ». Tant qu’ils
coupaient les têtes de soldats syriens, d’Alaouites et de Chrétiens, ils
étaient des amis utiles dont le seul acte de terrorisme a été de couper celle
d’un Français. On devrait pourtant savoir que les fascistes islamistes, comme
tous les fascistes, sont incapables d’éviter les bavures, comme je l’ai rappelé
ailleurs (ref, Fascism returns to contemporary capitalism, Monthly Review
2014). Mais la Syrie de Bachar a tenu, en partie grâce au soutien de l’Iran et
de la Russie, mais surtout parce que son armée ne s’est pas désintégrée comme
l’espéraient Washington et les capitales européennes.
La stratégie
que les Etats Unis ont développé concernant la « ceinture verte » -
qui s’étend du Maroc à l’Indonésie est fondée depuis 1945 sur une alliance
stratégique avec l’Arabie Saoudite et l’Islam politique réactionnaire. Alliance
dirigée non seulement contre l’adversaire « communiste » d’hier
(l’Union Soviétique et la Chine) mais tout autant contre le nationalisme
anti-impérialiste arabe qui avait contraint l’impérialisme au recul à l’époque
de Bandoung. Aujourd’hui, en dépit de l’effondrement de l’Union Soviétique, du
changement de cap de la Chine et de la soumission des gouvernements arabes au
diktat de la mondialisation libérale, Washington poursuit sans défaillance
cette même stratégie par crainte d’une renaissance toujours possible du monde
arabe et de la Russie, capable d’imposer une réorganisation du système mondial
sur la base du principe de la multipolarité négociée. L’allié
« islamique » (wahhabite, salafiste, djihadiste) est précieux, parce
que son gouvernement de la région condamne ses peuples à l’impuissance. Certes
ce modèle de gouvernement despotique à l’endroit de ses sujets demeure aussi
incapable d’éviter les dérapages terroristes dirigés contre
« l’Occident ». Mais tout compte fait ces dérapages sont utiles pour
la poursuite de la stratégie de destruction des sociétés arabes : ils
fournissent l’argument qui donne l’apparence de légitimité aux agressions de
l’OTAN et renforce le consensus de « l’opinion », manipulée de cette
manière. Avec le cynisme dont elle est coutumière la diplomatie de Washington
gagne alors sur les deux tableaux.
Cette stratégie
est également celle du sionisme. On pourrait aller jusqu’à dire que celui-ci
inspire les attitudes extrêmes prises par les exécutants subalternes de
l’alliance impérialiste – la France en particulier. L’ouvrage de Michel
Raimbaud en donne des preuves convaincantes. Washington par contre se garde le
droit de ne pas aller jusqu’à l’extrême, s’il le juge tactiquement
nécessaire.
Le triomphe
éphémère des Frères Musulmans
L’intervention
des Frères Musulmans en Egypte et de Nahda (branche des Frères) en Tunisie
a-t-elle, comme on le dit trop souvent sans réfléchir, donné à l’explosion de
colère générale la puissance qui lui manquait pour remporter la victoire,
c’est-à-dire chasser Moubarak et Ben Ali ? L’analyse des faits conduit à
une toute autre conclusion : cette intervention a affaibli le mouvement en
le divisant et en permettant ainsi aux Etats Unis et à leurs alliés subalternes
européens d’intervenir à leur tour dans le déroulement de la suite des
évènements.
Washington, et
ses alliés subalternes, alimentent une campagne visant à dédouaner les Frères
et à les faire accepter comme des partenaires incontournables de la nouvelle
« démocratie » arabe. Washington a donc mis en avant l’exigence –
d’apparence démocratique – de la tenue rapide d’élections en Tunisie et en
Egypte, et a obtenu gain de cause. Mais comme on devrait le savoir, le recours
à des élections est presque toujours le moyen d’arrêter le déploiement des luttes.
On en a vu bien d’autres exemples dans l’histoire (y compris, par exemple en
France, en 1968).
Les victoires
électorales des Frères et des Salafistes en Tunisie et en Egypte en 2011 et
2012 ne sont pas surprenantes. Elles trouvent leur explication évidente dans la
conjoncture de trois évolutions dangereuses des sociétés concernées : la
catastrophe sociale produite par le libéralisme économique, la dépolitisation
associée à l’exercice du despotisme par les dictatures au service de ce
libéralisme, l’involution des systèmes d’éducation, également exigée par le
libéralisme en question.
La
dégradation produite par la mondialisation capitaliste contemporaine a entraîné
un gonflement prodigieux des activités dites « informelles », qui, en
Egypte, fournissent leurs moyens de survie à plus de la moitié de la population
(les statistiques disent : 60%). Or les Frères Musulmans, sont fort bien
placées pour tirer profit de cette dégradation et en perpétuer la reproduction.
Leur idéologie simple donne une légitimité à cette économie misérable de
marché/ de bazar, aux antipodes des exigences d’un développement digne de ce
nom. Les moyens financiers fabuleux mis à leur disposition (par le Golfe)
permettent de le traduire en moyens d’action efficaces : avances financières
à l’économie informelle, charité d’accompagnement (centres de soins et autres).
C’est de cette manière que les Frères s’implantent dans la société réelle et la
placent sous leur dépendance. Les pays du Golfe n’ont jamais eu l’intention de
soutenir le développement des pays arabes, par des investissements industriels
par exemple. Ils soutiennent un modèle de « lumpen développement » -
pour utiliser les termes proposés naguère par André Gunder Frank – qui enferme
les sociétés concernées dans une spirale descendante de paupérisation et
d’exclusion, laquelle à son tour renforce l’emprise de l’Islam politique
réactionnaire sur la société.
Par ailleurs la
gestion du capitalisme « libéral » contemporain repose sur le socle
de la dépolitisation organisée systématiquement par le pouvoir en place. Dans
les centres le ralliement de la gauche historique au social-libéralisme,
fondement de la société d’apparence de « consensus », a annihilé la
signification du contraste politique et social antérieur droite/gauche. Dans les
périphéries l’épuisement puis la répression de tous les courants historiques du
nationalisme populaire a créé un vide que la religion (Islam, Hindouisme,
Bouddhisme) ou l’ethnicité (en Yougoslavie, en Afrique et ailleurs) a occupé,
sortant des coulisses pour s’installer sur le devant de la scène. Dans ces
conditions les balivernes de la dogmatique du libéralisme sont acceptées comme
monnaie sonnante et trébuchante par les opinions générales dominantes. Dans le
cas de l’Egypte l’Islam politique réactionnaire a souscrit sans hésitation aux
« recettes » des politiques économiques libérales (« vive le
marché », nous n’avons rien à dire sur ce sujet, répète-t-il à satiété).
Il a ainsi contribué à transférer le centre de gravité du débat du champ des
intérêts sociaux et des luttes sociales (luttes de classes, prenant en compte
toutes ses complexités concrètes) à celui des questions prétendues
théologiques. Mais l’opinion démocratique qui rejette la réponse théocratique
(comme l’a montré la manifestation grandiose du 30 Juin 2013) est elle-même
contaminée par le « virus libéral ». Elle contribue à son tour à
transférer le débat du champ économique et social qui commande la réalité à
celui du choix abstrait en faveur de la démocratie électorale sans plus. La repolitisation
générale qui caractérise la scène égyptienne depuis 2011 est réelle, visible
pour tous. Elle constitue certainement un bon signe pour l’avenir. Mais elle
demeure jusqu’ici faible, au sens que sa prise de conscience du lieu du défi
réel (les dévastations sociales produites par le libéralisme économique)
demeure très insuffisante dans les larges masses populaires. Le monde
contemporain paie cher cette régression de la culture politique, en particulier
de l’effacement du marxisme. Une régression caractéristique du creux de la
vague historique, la page de la vague des montées et des avancées du XXe siècle
étant tournée, et celle de la renaissance du mouvement au socialisme du XXIe
siècle à peine dessinée.
Il faut enfin
signaler les effets désastreux de la destruction des systèmes d’éducation. Le
libéralisme exige que les programmes répondent à la demandent du marché. Et,
dans cet esprit, les patrons étatsuniens ont systématiquement démantelé le
système d’éducation de l’Irak, de l’école primaire à l’Université pour ne
retenir finalement guère que deux enseignements : la religion et le
business. Sans même cette intervention brutale et cynique, les systèmes
d’éducation dans tout le monde arabe comme presque partout ailleurs sur la
Planète ont été soumis, entre autre par la privatisation, à des réformes qui
ont délibérément écarté tous les enseignements « inutiles » – la philosophie, l’histoire, la pensée
sociale – indispensables pour la construction d’une société digne de ce nom, de
citoyens libres et capables de s’exprimer en termes politiques efficaces. Ces
réformes ont favorisé partout la dérive terroriste. Ce que les médias
occidentaux qualifient « d’Islam moderne » n’est rien d’autre que le
produit de cette greffe de la « religion » (entendue comme pratique
ritualiste) et du
« business ». Le « Musulman moderne » en question est un
individu incapable de raisonnement critique, même s’il sait manier à la
perfection un ordinateur.
Néanmoins
le succès des Frères Musulmans, quand bien même eut-il été éphémère aurait été difficile s’il n’avait pas répondu
parfaitement aux objectifs des pays du Golfe, de Washington et d’Israël. Ces
trois alliés intimes partagent la même préoccupation : faire échouer le
redressement de l’Egypte. Car une Egypte forte, debout, c’est la fin du triple
hégémonisme du Golfe (la soumission au discours de l’islamisation de la
société), des Etats Unis (l’Egypte compradorisée et misérabilisée reste dans
leur giron) et d’Israël (l’Egypte impuissante laisse faire en Palestine).
Le
ralliement des régimes au néo libéralisme et à la soumission à Washington a été
brutal et total en Egypte avec Sadate,
plus lent et mesuré en Algérie et en Syrie. J’ai rappelé dans le chapitre
premier de ce livre que les Frères Musulmans – partie prenante du système du
pouvoir – ne doivent pas être considérés simplement comme un « parti
islamiste », mais avant tout comme un parti ultra réactionnaire, de
surcroît islamiste. Réactionnaire non seulement à propos de ce qu’on appelle
les « problèmes de société » (le voile, la sharia, la discrimination
à l’égard des Coptes), mais tout autant dans les domaines fondamentaux de la
vie économique et sociale : les Frères sont opposés aux grèves, aux
revendications concernant le travail, aux syndicats indépendants du pouvoir, au
mouvement de résistance à l’expropriation des paysans etc.
L’avortement
planifié de la « révolution égyptienne » garantirait donc la
continuité du système mis en place depuis Sadate, fondé sur l’alliance du
commandement de l’armée et de l’Islam politique. Certes, forts de leur victoire
électorale les Frères étaient désormais en mesure d’exiger davantage de pouvoir
que celui jusqu’ici concédé par les militaires. Une révision du dosage dans le
partage des bénéfices de cette alliance au bénéfice des Frères s’est avérée néanmoins
finalement impossible.
Le
gouvernement des Frères a démontré dans un temps record son incapacité à
s’implanter dans la société. Quelques semaines à peine après leur victoire
électorale, le Parlement et le Président perdaient leur légitimité aux yeux de
la majorité écrasante des citoyens, y compris ceux qui, par naïveté, avaient
voté pour eux. L’arrogance des Frères a certainement contribué à ce
retournement des opinions. Morsi pensait pouvoir mettre en place l’Etat
théocratique défini par le programme des Frères aussi rapidement que Khomeyni
l’avait fait en Iran. Il oubliait que la révolution iranienne avait été
conduite par les Islamistes, tandis qu’en Egypte ceux-ci avaient seulement pris
le train en marche. Morsi a donc systématiquement démis tous les fonctionnaires
responsables pour les remplacer sur le champ par des Frères, généralement
incompétents et avides d’enrichissement. Il n’a pas hésité à dire qu’ayant été
élu, il en avait le droit ! Imagine-t-on ailleurs un Président élu
révoquant tous les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, du Conseil
des Médias, et de toutes les Institutions nationales (Universités, Musées,
Electricité, Chemins de fer etc) au mépris de tous les règlements propres à ces
institutions ? Pourtant le qualificatif de « coup d’Etat
permanent » qui était sur toutes les lèvres égyptiennes, n’a fait l’objet
d’aucun commentaire des médias occidentaux ! De surcroît les Frères n’ont
pas compris qu’il leur fallait composer avec le CSFA ; ils ont choisi de
tenter d’en éliminer immédiatement la présence politique.
Les farces
électorales de 2011 et 2012
En Egypte les
élections parlementaires d’octobre 2011 et présidentielles de 2012 ont été tout sauf honnêtes et transparentes.
Le
premier tour des élections présidentielles du 24 mai 2012 avait été organisé pour atteindre l’objectif
que le système en place et Washington poursuivent : renforcer l’alliance
des deux piliers du système – le commandement de l’armée et les Frères
Musulmans et régler leur différent (lequel des deux occupera le devant de la
scène). Les deux candidats « acceptables » dans cet esprit ont été
les seuls à bénéficier de moyens de campagne. Morsi (FM : 24%) et Chafiq (l’armée :
23%). L’authentique candidat du mouvement – Hamdin Sabbahi – qui n’a pas
bénéficié des moyens normaux mis à la disposition des candidats, n’aurait
obtenu que 21% (chiffre lui-même discutable). Au terme de longues négociations
un marché a été conclu pour déclarer Morsi « gagnant » du second
tour. L’Assemblée, comme le Président ont été élus grâce à l’organisation
massive de la distribution de « cartons» (bourrés de viande, d’huile et de
sucre) distribués aux électeurs ayant donné leur voix aux Islamistes. Il
faudrait également mentionner les fraudes massives (bourrage d’urnes par les
miliciens des Frères s’emparant de bureaux de vote), l’interdiction faite aux
villageois coptes de participer au vote etc. Néanmoins les « observateurs
étrangers » n’avaient pas remarqué ce qui est pourtant la risée de la rue
égyptienne.
Lorsque donc en
Avril 2012 la Cour Constitutionnelle a invalidé les élections parlementaires,
elle n’a rien fait d’autre que de constater la fraude massive réelle. On
observera néanmoins que cette dissolution avait été retardée par le
Commandement de l’Armée, qui souhaitait peut être donner au gouvernement issu
de cette Assemblée le temps nécessaire pour se discréditer aux yeux de
l’opinion par son refus obstiné de traiter des questions sociales (l’emploi,
les salaires, l’école, la santé).
En Egypte la rédaction
d’une nouvelle constitution n’a pas été l’objet de beaucoup d’attention. La
Constitution nassérienne, elle-même révisée par Sadate, n’a jamais été remise
en cause. Le régime présidentiel qu’elle institue – à l’instar de ce qu’il est
ailleurs dans le monde, aux Etats Unis, en France, en Amérique latine, en
Afrique – constitue, à mon avis, un pas en arrière en comparaison des régimes
parlementaires inventés en Europe aux XIXe et XXe siècle. Car ce système
contribue fortement à « pipoliser » (expression nouvelle tirée de
l’usage du mot anglais « people » pour désigner les stars
médiatiques) la politique, à substituer au débat sur les programmes de faux
débat conduits par deux personnages médiatiques proches, l’un et l’autre ne
remettant pas en cause le consensus libéral économique. Il s’agit donc d’un
système parfait pour consolider le pouvoir réel des oligarchies financières.
Dans le cas
égyptien le débat n’a porté que sur les amendements proposés concernant la
place de la Sharia dans la loi :
source exclusive, principale ou l’une des sources avec d’autres. L’amendement
soumis par référendum en Mai 2011 accentuait le caractère islamique de la loi.
Il a été combattu par la majorité active des acteurs du mouvement, mais
néanmoins adopté, sous la pression des islamistes (ne reculant pas devant la
fraude, comme d’habitude) et la neutralité adoptée à son endroit par le
Commandement de l’Armée.
De
surcroît la constitution égyptienne n’est pas seulement une constitution
présidentielle du format habituel. Elle interdit aux pouvoirs civils élus tout
droit de regard sur les agissements du Conseil Suprême des Forces Armées,
toujours donc garant de l’ordre public en dernier ressort.
La dérive
constitutionnelle est venue par la suite, sous le règne de Morsi. Le projet
constitutionnel fabriqué par les Frères Musulmans devait permettre la mise en
place d’un régime théocratique, inspiré par l’exemple de l’Iran. Il faut savoir
que la révolution khomeyniste de 1979 avait été saluée avec enthousiasme par
les Frères, en dépit du chiisme iranien. Le projet égyptien prévoyait donc la
substitution d’un Conseil des Ulémas à la Cour Constitutionnelle. Ce Conseil
aurait bénéficié d’un droit de regard et de veto qui annihilait en fait le
partage des pouvoirs. Il était en effet habilité à casser tout projet de loi
adopté par les députés si jugé non conforme à son interprétation propre de la
sharia. De la même manière le Conseil était habilité à casser toute décision de
l’exécutif et de l’administration et tout jugement prononcé par un tribunal
quelconque. Lorsque donc Sissi annulait ce projet en Juillet 2013 il n’a rien
fait d’autre que de soutenir l’opinion quasi unanime opposée à cette dérive
théocratique.
La raison de la
cassure ultérieure entre les Frères Musulmans et le régime iranien ne reposait
pas sur une appréciation différente du régime souhaitable (la théocratie dans
les deux cas) mais sur d’autres considérations politiques conjoncturelles.
Dans les pays
du Golfe wahhabisme rime avec tribalisme. L’alliance scellée au XVIIIe siècle
par le fondateur du wahhabisme et le clan des Saoud avait défini une fois pour
toute le modèle du régime : théocratie wahhabite et gestion du pays par la
monarchie absolue des Saoud. Or cette greffe pourrait être remise en question
par certains courants du salafisme (y compris d’allégeance wahhabite) qui
aspireraient à débarrasser la théocratie de la tutelle royale ; et Ben
Laden avait amorcé cette évolution. La monarchie saoudite exige donc de ses
alliés de l’Islam politique qu’ils se séparent définitivement de ces
aspirations « trop fondamentalistes » ! Les Frères ayant négligé
de le faire ont été alors contraints à troquer le soutien de Ryad pour celui du
Qatar, qui, pour des raisons particulières, a pris la relève. Par ailleurs la confrontation
entre les Etats du Golfe et l’Iran pour le contrôle de la circulation maritime
dans la région a pris une tournure plus aigüe, les Etats Unis craignant
l’adoption par l’Iran d’une posture politique indépendante, quand bien même son
adhésion aux principes du libéralisme économique ne serait pas remise en
question. Bien entendu dans ce conflit les concurrents mobilisent alors les
allégeances religieuses (Chiisme et Sunnisme).
Le
système en place, « présidé » par Morsi était le meilleur garant de
la poursuite du lumpen-développement et de la destruction des institutions de
l’Etat, qui sont les objectifs poursuivis par Washington. Le mouvement, qui n’a rien perdu de son
engagement ferme dans des luttes pour la démocratie, le progrès social et
l’indépendance nationale, s’est donc poursuivi après la farce électorale qui
avait donné le pouvoir à Morsi et aux Frères. Il est finalement parvenu à créer
les conditions de la chute de Morsi et de ses acolytes et à mettre un terme aux
extravagances outrancières du gouvernement despotique des Frères.
Néanmoins
aucune des questions fondamentales rappelées ici ne paraissaient avoir
préoccupé les acteurs politiques majeurs au-delà de quelques intellectuels
vigilants. Tout s’est passé comme si l’objectif final de la
« révolution » avait été d’obtenir rapidement des élections. Comme si
la source exclusive de légitimité du pouvoir résidait dans les urnes. Mais il y
a pourtant une autre légitimité, supérieure - celle de la poursuite des luttes
pour le progrès social et la démocratisation authentique des
sociétés ! Ces deux légitimités
sont appelées à des
confrontations sérieuses à venir. On le voit déjà se dessiner clairement en
Egypte.
L’Islam politique est-il soluble dans la démocratie ?
Nous
sommes envahis par des discours rassurants à cet effet, d’une incroyable
naïveté, sincère ou fausse. « C’était fatal, nos sociétés sont imprégnées
par l’Islam ; on a voulu l’ignorer ; il s’est imposé » disent
les uns. Comme si ce succès de l’Islam politique n’était pas dû à la dépolitisation
et à la dégradation sociale qu’on veut ignorer. « Cela n’est pas si
dangereux ; le succès est passager et la faillite du pouvoir exercé par
l’Islam politique amènera les opinions à s’en détacher ». Comme si les
Frères en question étaient acquis au principe du respect des principes
démocratiques ! Ce à quoi font semblant de croire Washington, les
« opinions » fabriquées par les médias dominants et la cohorte des
« intellectuels » arabes, par opportunisme ou absence de lucidité.
On
entend dire : il existe des partis Chrétiens Démocrates, pourquoi pas des
partis Islamistes démocrates ? Oui, en théorie abstraite, pourquoi pas. Si
le parallèle ne tient pas la route, c’est tout simplement parce que les Frères
ont créé un parti fasciste. Les Frères sont dirigés depuis 1928 par un
« Mourchid », un choix de nom inspiré par leur admiration du Duce et
du Fuhrer. Celui-ci est choisi par un comité dont les noms des membres sont
tenus secrets. La Confrérie prévoit dans ses textes fondateurs la création parallèle
d’une « Organisation secrète » qui se donne le droit, par exemple,
d’incendier des Eglises. Je traduis pour les Européens : connaissez-vous
un parti Chrétien démocrate qui se donnerait le droit d’incendier des
synagogues ?
Non.
L’exercice du pouvoir par l’Islam politique réactionnaire serait appelé à durer
… 50 ans ? Et alors qu’il contribuerait à enfoncer les sociétés qu’il
soumettrait chaque jour dans l’insignifiance sur l’échiquier mondial, les
« autres » poursuivraient leurs avancées. Au terme de cette triste
« transition » les pays concernés se retrouveront au bas de l’échelle
de la classification mondiale.
La
dépolitisation a été décisive dans la montée en scène de l’Islam politique.
Cette dépolitisation n’est certainement pas spécifique à l’Egypte nassérienne
puis post nassérienne. Elle a été la pratique dominante dans toutes les
expériences nationales populaires du premier éveil du Sud et même dans celles
des socialismes historiques après que la première phase de bouillonnement révolutionnaire ait été
dépassée. Dénominateur commun : la suppression de la pratique démocratique
(que je ne réduis pas à la tenue d’élections pluripartites), c'est-à-dire du
respect de la diversité des opinions et des propositions politiques, et de leur
organisation éventuelle. La politisation exige la démocratie. Dans tous les cas
sa suppression, à l’origine donc de la dépolitisation, est responsable du
désastre ultérieur. Que celui-ci prenne la forme de retours aux passéismes
(religieux ou autres). Ou qu’il prenne celle de l’adhésion au
« consumisme » et au faux individualisme proposée par les médias
occidentaux, comme ce fut le cas chez les peuples de l’Europe orientale et de
l’ex URSS, comme c’est le cas ailleurs également non pas seulement au sein des
classes moyennes (bénéficiaires éventuels du développement) mais également au
sein des classes populaires qui, faute d’alternative, aspirent à en bénéficier,
même à une toute petite échelle (ce qui est évidemment parfaitement
compréhensible et légitime).
Dans
le cas des sociétés musulmanes cette dépolitisation revêt la forme principale
du « retour » (apparent) de l’Islam. L’articulation associant le
pouvoir de l’Islam politique réactionnaire, la soumission compradore et la
paupérisation par l’informalisation de l’économie de bazar n’est pas spécifique
à l’Egypte. Elle caractérise déjà la plupart des sociétés arabes et musulmanes,
jusqu’au Pakistan et au-delà. Cette même articulation opère en Iran ; le
triomphe de cette économie de bazar avait été signalé dès le départ comme le résultat
majeur de la « révolution khomeyniste ». Cette même articulation
pouvoir islamique/économie de marché de bazar a dévasté la Somalie, désormais
effacée de la carte des nations existantes (cf Y a-t-il une solution aux
problèmes de la Somalie ?; Recherches Internationales 2011).
La
question de la politisation démocratique constitue, dans le monde arabe comme
ailleurs, l’axe central du défi. Notre époque n’est pas celle d’avancées
démocratiques, mais au contraire de reculs dans ce domaine. La centralisation
extrême du capital des monopoles généralisés permet et exige la soumission
inconditionnelle et totale du pouvoir politique à ses ordres. L’accentuation de pouvoirs
« présidentiels », d’apparence individualisés à l’extrême mais en
fait intégralement soumis au service de la ploutocratie financière, constitue
la forme de cette dérive qui annihile la portée de la défunte démocratie
bourgeoise (elle-même renforcée un temps par les conquêtes des travailleurs) et
lui substitue la farce démocratique. Dans les périphéries les embryons de démocratie,
quand ils existent, associés à des régressions sociales encore plus violentes
que dans les centres du système, perdent leur crédibilité. Le recul de la
démocratie est synonyme de dépolitisation. Car celle-ci implique l’affirmation
sur la scène de citoyens capables
de formuler des projets de société alternatifs, et non seulement d’envisager, par des élections sans portée,
« l’alternance » (sans changement !). Le citoyen capable
d’imagination créatrice disparu, l’individu dépolitisé qui lui succède est un spectateur
passif de la scène politique, un consommateur modelé par le système qui se pense (à
tort) individu libre. Avancer sur les chemins de la démocratisation
des sociétés et de la re politisation des peuples sont indissociables. Mais par
où commencer ? Le mouvement peut être amorcé à partir de l’un ou de
l’autre de ces deux pôles. Rien ici ne peut être substitué à l’analyse concrète
des situations en Algérie, en Egypte, tout comme en Grèce, en Chine, au Congo,
en Bolivie, en France ou en Allemagne. A défaut d’avancées visibles dans ces
directions le monde s’engagera, comme il l’est déjà, dans la tourmente
chaotique associée à l’implosion du système. Le pire est alors à craindre.
A propos du salafisme
Le salafisme est le produit de l’avortement de la Nahda du
19 ième siècle (cf chapitre 4 de cette édition augmentée) que clôturent les
propositions obscurantistes de Rachid Reda, converti au wahhabisme –la forme la
plus archaïque de l’Islam- adoptées d’emblée par les Frères Musulmans dès
l’origine (1927). Les salafistes rejettent les concepts de liberté et de
démocratie qui, selon eux, ne tiennent pas compte de la « nature »
qui impose à l’homme d’obéir à Dieu (« comme un esclave doit obéir à son
maître » –l’expression est la leur). Bien entendu seuls les ulémas sont
autorisés à dire ce que Dieu ordonne. La voie est alors ouverte à la théocratie
(wilayah al faqih).
Comme Burke et de Maistre les salafistes sont les ennemis de la
« modernité » si l’on entend par là la proclamation que l’être humain
est individuellement et collectivement –en société – responsable de faire son
histoire. Les médias prétendent néanmoins que les salafistes sont
« modernes », au prétexte qu’ils n’interdisent pas les ordinateurs et
le « business management », qu’ils enseignent d’ailleurs à partir de
manuels que l’USAID leur fournit. Evidemment la gestion du système a besoin de
serviteurs compétents, à condition qu’ils soient dépourvus de capacité
critique.
Les Frères, les salafistes et les djihadistes se partagent les
tâches « d’islamisation de la société et de l’Etat ». Les salafistes
et les djihadistes disent ouvertement ce que les Frères pensent toujours mais
ne disent plus, pour mériter le certificat de démocratie qu’Obama leur a
décerné.
Démocratie ou destruction des Etats et des
Nations ?
L’objectif des Etats Unis et de
leurs alliés subalternes de l’Otan pour le « grand Moyen Orient »
n’est certainement pas la démocratie mais la garantie de la poursuite de la
soumission des pays concernés aux exigences du déploiement de la mondialisation
telle qu’elle est, opérant au bénéfice exclusif des monopoles impérialistes.
« Tout changer afin que rien ne change ». Le lumpen développement,
fondé sur l’exclusion et la paupérisation des grandes majorités, est le produit
incontournable de cette stratégie.
La réalisation de l’objectif passe
par la destruction des Etats et des sociétés qui lui résistent. L’Irak en
fournit le modèle. Ici les occupants étatsuniens ont substitué à la dictature
de Saddam Hussein trois dictatures encore plus criminelles, au nom de la
« religion » (sunna et shia) ou de « l’ethnicité kurde ».
Ils ont par ailleurs procédé à l’assassinat systématique de dizaines de
milliers de cadres scientifiques et professionnels, poètes inclus, et interdit toute
forme d’éducation autre que « religieuse » et « utile » (le
« business management » !).
L’objectif qui se profile derrière
la destruction de la Syrie vise dans l’immédiat l’Iran, sous le prétexte
fallacieux de son équipement nucléaire. Deux poids, deux mesures, comme toujours :
l’équipement nucléaire militaire d’Israel ne fait, lui, l’objet d’aucune
observation !
Mais au-delà cette stratégie vise
les pays émergents, en premier lieu la Chine et la Russie. L’establishment
des Etats Unis a formulé à cet effet une stratégie en deux temps. Il s’agit
d’abord de « contenir » les efforts que ces pays déploient pour
moduler la mondialisation et imposer sa gestion polycentrique, en mettant un
terme à « l’hégémonisme » de Washington. Le terme anglais utilisé ici
est celui de « containment ». Mais à plus long terme il s’agit
de détruire leur capacité de mouvement autonome, de les « recoloniser »
en quelque sorte. Le terme utilisé est celui de « rolling back ».
La perspective implique ouvertement l’abolition du droit international et du
respect de la souveraineté des Etats, et le recours à la guerre. Les
« guerres préventives » (plus exactement des guerres préparatoires)
engagées au Moyen Orient s’inscrivent dans cette perspective.
L’objectif est de garantir la
domination du « Nord », c’est-à-dire des monopoles de la triade Etats
Unis/Europe/Japon sur le monde, et plus particulièrement de garantir son accès
exclusif aux ressources naturelles de la planète entière, pour en faire l’usage
qu’on connaît, écologiquement désastreux. Les thèmes pseudo culturels invoqués
à cet effet (la défense de la démocratie, elle-même soumise à une érosion
continue dans le Nord concerné, la guerre des civilisations, l’invention d’un
« droit à l’intervention humanitaire ») sont là pour masquer cet
objectif réel. Cette stratégie implique pour les peuples du Sud un lumpen
développement et rien d’autre. Ce système n’est pas « soutenable »,
non seulement pour des raisons écologiques connues, mais tout autant pour le
désastre politique et social qui le caractérise. Les « révolutions »
arabes ne sont pas les seules réponses (à peine amorcées) au défi. Celles, plus
soutenues en Amérique latine, comme la montée des luttes dans le monde entier,
Europe incluse, témoignent de la globalité de ce défi.
Esquisse d’une réponse au désastre social
Il ne me paraît pas nécessaire de revenir ici sur les développements que
j’ai consacrés dans le chapitre premier de ce livre aux deux longues vagues de
tentative d’émergence de l’Egypte (1805-1975, 1920-1070), aux raisons de leur
échec et aux deux vagues de restructuration de l’économie et de la société
imposées par l’impérialisme dominant qui ont suivi ces échecs (1875-1920,
1970-2011). Nous sommes entrés dans ce qui pourrait devenir une troisième vague
de luttes pour l’émergence, raison pour laquelle un bilan des dernières années
2011-2015 ne peut être que partiel et provisoire.
Mis en œuvre à l’échelle mondiale les principes du capitalisme libéral ne produisent pas
autre chose, dans les périphéries du « sud » qu’un capitalisme de
connivences (crony capitalism )
articulé sur un Etat compradore. C’est ne pas le développement, mais un
lumpen-développement. L’exemple de l’Egypte en fournit un bel exemple.
Capitalisme de
connivences, Etat compradore et lumpen développement (1970-2012)
Le projet nassérien de construction d’un Etat national
développementaliste avait produit un modèle de capitalisme d’Etat que Sadate
s’est engagé à démanteler. Les actifs possédés par l’Etat ont donc été
« vendus ». A qui ? A des hommes d’affaires proches du
pouvoir : officiers supérieurs, hauts fonctionnaires, commerçants riches
(de surcroît soutiens politiques et financiers des Frères Musulmans). Mais
également à des « Arabes » du Golfe et à des sociétés étrangères
américaines et européennes. A quel prix ? A des prix dérisoires, sans
commune mesure avec la valeur réelle des actifs en question. C’est ainsi que
s’est construite la nouvelle classe « possédante » égyptienne et
étrangère qui mérite pleinement la qualification de capitaliste de connivence (rasmalia al mahassib, terme égyptien
pour la désigner). La propriété octroyée à « l’armée » a transformé
le caractère des responsabilités qu’elle exerçait déjà en tant que institution
de l’Etat. Ces pouvoirs de gestion sont devenus ceux de propriétaires privés.
De surcroît dans la course aux privatisations les officiers les plus puissants
ont également « acquis » la propriété de nombreux autres actifs
d’Etat : chaines commerciales, terrains et ensembles immobiliers en
particulier. Les « entrées de
capitaux étrangers », au demeurant
modestes, s’inscrivent dans ce cadre. L’opération s’est donc soldée par
la mise en place de groupes monopolistiques privés qui dominent l’économie
égyptienne.
Cette domination a été renforcés par l’accès presqu’exclusif de ces nouveaux
milliardaires au crédit bancaire, au détriment des petits et moyens
producteurs. Ces positions monopolistiques ont été également favorisées par des
subventions colossales de l’Etat pour la consommation de pétrole, de gaz
naturel et d’électricité par les usines rachetées à l’Etat (cimenterie,
métallurgie du fer et de l’aluminium, textiles et autres). Or la « liberté
des marchés » a permis à ces entreprises de relever leurs prix pour les
ajuster à ceux d’importations concurrentes éventuelles. La logique de la
subvention publique qui compensait des prix inférieurs pratiqués par le secteur
d’Etat est rompue au bénéfice de super profits de monopoles privés. Les
salaires de la grande majorité des travailleurs se sont lourdement détériorés
par l’effet des lois du marché du travail libre et de la répression syndicale.
Super profits de monopoles privés et paupérisation vont de pair et se
traduisent par l’aggravation continue de l’inégalité dans la répartition du
revenu renforcée par un système fiscal qui a refusé le principe même de l’impôt
progressif. Cette fiscalité légère pour les riches et les sociétés, vantée par
la Banque mondiale pour ses prétendues vertus de soutien à l’investissement,
s’est soldée tout simplement par la croissance des superprofits.
Ces politiques ont également rendu
impossible la réduction du déficit public et de celui de la balance
commerciale. Elles ont entraîné la détérioration continue de la valeur de la
livre égyptienne, et imposé un endettement interne et externe grandissant. Celui-ci a donné l’occasion au
FMI d’imposer avec force les principes du libéralisme.
Un programme de réponses immédiates
Le programme dont je résume les propositions
dans le texte qui suit a été l’objet de larges discussions au sein des partis
de la gauche égyptienne, des syndicats et de nombreuses associations concernant
les couches moyennes de professionnels. Il a été diffusé dans la presse.
(1)Les opérations de cession des actifs publics doivent être l’objet de
remises en question systématiques. Etant donné que les « acheteurs »
ont payé des prix dérisoires, leur
propriété doit être transférée par la loi à des sociétés anonymes dont l’Etat
sera actionnaire à hauteur de la différence entre la valeur réelle et celle
payée par les acheteurs.
(2)La loi doit fixer le salaire minimum à un montant plus ou moins
équivalent en pouvoir d’achat à 400
Euros (valeur 2011), inférieur en fait à celui de nombreux pays dont le PIB per
capita est comparable à celui de l’Egypte ; lequel devra être associé à
une échelle mobile avec participation des syndicats dans sa mise en œuvre. Il s’appliquera à
toutes les activités des secteurs public et privé.
(3)Les droits des travailleurs –l’emploi, conditions de travail,
assurances maladies/chômage/retraites – doivent faire l’objet d’une
consultation tripartite (syndicats, employeurs, Etat). Les syndicats
indépendants constitués ces dernières années doivent être reconnus, comme le
droit de grève (toujours « illégal » dans la législation en cours). Une
« indemnité de survie » doit être établie pour les chômeurs
(4)Les subventions octroyées par le budget aux monopoles privés doivent
être supprimées.
(5)Une nouvelle législation fondée
sur l’impôt progressif des individus et le relèvement à 25% du taux de taxation
des bénéfices des entreprises occupant plus de vingt travailleurs doit être
mise en place. La taxation des petites et moyennes entreprises, souvent plus
lourde (!) doit être révisée la baisse. Le taux proposé pour les tranches
supérieures des revenus des personnes – 35%
– demeure d’ailleurs léger dans les comparaisons internationales.
(6)L’ensemble des mesures proposées dans les points 4 et 5 permet non
seulement de supprimer le déficit actuel
mais encore de dégager un excédent. Celui-ci sera affecté à
l’augmentation des dépenses publiques pour l’éducation, la santé, le logement.
La reconstitution d’un secteur social public dans ces domaines n’impose pas de
mesures discriminatoires contre les activités privées de même nature.
(7)Le crédit doit être replacé sous le contrôle de la Banque centrale.
Les facilités octroyées aux monopoles doivent être supprimées au bénéfice des
PME actives ou qui pourraient être créées dans cette perspective.
(8)Concernant la question agraire, l’objectif est de rendre difficile
l’éviction des fermiers incapables de payer les loyers exigés et
l’expropriation des petits propriétaires endettés. On préconise le retour à une
législation fixant les loyers maximaux de fermage (ils avaient été libérés par les lois successives).
Des projets concrets existent destinés à assurer l’essor de la petite
paysannerie : amélioration des méthodes d’irrigation (goutte à goutte
etc.), choix de cultures riches et intensives (légumes et fruits), libération
en amont par le contrôle par l’Etat des fournisseurs d’intrants et de crédits,
libération en aval par la création de coopératives de commercialisation
associées à des coopératives de consommateurs.
Ce programme d’actions immédiates amorcerait la reprise d’une croissance
économique saine et viable. L’argument avancé par ses détracteurs libéraux –
qu’il ruinerait tout espoir d’entrées de capitaux d’origine extérieure – ne
tient pas la route. L’expérience de l’Egypte et des autres pays, notamment
africains, qui ont accepté de se soumettre intégralement aux prescriptions du
libéralisme et ont renoncé à élaborer un projet de développement autonome,
montre qu’ils « n’attirent » pas les capitaux extérieurs en dépit de
leur ouverture incontrôlée (précisément à cause de celle-ci). Les capitaux extérieurs
se contentent alors d’y conduire des opérations de razzia sur les ressources
des pays concernés, soutenues par l’Etat compradore. En contrepoint les pays
émergents qui mettent en œuvre des projets nationaux de développement offrent
des possibilités réelles aux investissements étrangers qui acceptent alors de
s’inscrire dans ces projets nationaux.
Le programme des revendications immédiates dont j’ai retracé ici les
lignes dominantes ne concerne que le volet économique et social du défi. Bien
entendu le mouvement discute tout également de son versant politique : le
projet de constitution, les droits démocratiques et sociaux, l’affirmation
nécessaire de « l’Etat des citoyens » (dawla al muwatana) faisant contraste avec le projet de théocratie
d’Etat (dawla al gamaa al islamiya)
des Frères Musulmans.
Le gouvernement composé exclusivement de Frères Musulmans choisi par
Mohammed Morsi avait d’emblée proclamé son adhésion inconditionnelle à tous les
principes du libéralisme, pris des mesures pour en accélérer la mise en œuvre,
et déployé à cette fin tous les moyens de répression hérités du régime déchu.
Cette même politique « libérale » a été poursuivie par le premier
Ministre Beblawi, installé par Sissi puis démis, sans doute parce que l’impopularité
de cette politique risquait de rejaillir sur Sissi lui-même, sans que son
successeur n’ait donné la preuve d’un engagement différent.
Sortir de la
confusion.
La plus grande
confusion domine néanmoins toujours la
scène.
La
« constitution » adoptée par referendum en janvier 2014 ne rompt pas
avec le concept de religion d’Etat (la sharia demeure source du droit) ;
elle laisse au commandement de l’armée le pouvoir en dernier ressort. Elle a
été néanmoins adoptée avec un certain enthousiasme, parce qu’elle ralliait la
volonté de la majorité écrasante d’en finir définitivement avec le projet de
théocratie des Frères Musulmans. L’élection présidentielle de juin 2014 a
confirmé la victoire de Sissi. Le régime est-il appelé à poursuivre cette même
politique de libéralisme qui est à l’origine du désastre ? Il en a donné
le signal : on envisage, dit-on, d’élargir le Conseil des Pays du Golfe,
pierre angulaire de l’adhésion néo libérale et de la soumission aux objectifs
stratégiques des Etats Unis dans la région, pour y inclure l’Egypte, la
Jordanie et le Maroc !
Néanmoins cette
perspective d’immobilisme demeure fragile. Hamdin Sabbahi, qualifié de
« nassero-communiste inacceptable » par l’ambassade des Etats Unis,
avait recueilli autant de voix que Morsi aux dernières élections
présidentielles. Cette « minorité » (en termes électoraux) active est
la seule qui soit capable d’entraîner dans l’action la majorité du mouvement.
Le combat pour imposer la sortie du néo libéralisme et l’adoption du programme
dessiné plus haut continue donc. La poursuite des luttes en cours pourrait
alors contraindre Sissi à changer son
fusil d’épaule, comme cela fut le cas avec Nasser en 1956, passé du libéralisme
économique naïf à l’adhésion au projet de libération nationale et sociale.
Certes les conditions de notre époque, différentes de celles de l’époque de
Bandoung, interdisent de pousser la comparaison. L’avenir reste ouvert, car
« si la Révolution n’a pas changé le régime, elle a changé le
peuple ».
Retour sur le
débat des années 50
Le retour sur
les débats qui ont concerné dans le passé les relations entre les nationalistes
nassériens et les communistes permet
d’identifier la nature véritable du défi auquel le peuple égyptien était et est
toujours confronté. Deux visions et deux projets, deux stratégies pour leur
mise en application se heurtaient. Nous avions affaire à d’une part une vision
« nationale bourgeoise », c'est-à-dire à un projet « anti
impérialiste/antiféodal » (langage de l’époque) que la bourgeoisie
nationale, soutenue par un Etat nationaliste pourrait conduire à son
terme ; et d’autre part à une vision « nationale populaire »
fondée sur l’idée que la bourgeoisie (en l’occurrence égyptienne) ne pouvait
pas conduire le mouvement dans le sens souhaité, parce que celle-ci ne conçoit
pas d’aller au-delà de compromis (voire compromissions) avec l’impérialisme et
la « féodalité », et, qu’en conséquence, seul un large mouvement
populaire, dirigé par une avant-garde « communiste », pouvait y
parvenir. Cette seconde vision a été, par moments et pour certains, celles des
communistes égyptiens. Mais elle est demeurée fluctuante et à d’autres moments
a été abandonnée au bénéfice d’un ralliement au projet nationaliste bourgeois
(nassérien en l’occurrence). Dans ces temps anciens où le débat
nationalisme/communisme ainsi défini occupait le devant de la scène,
« l’islamisme » était refoulé dans les coulisses, et l’attachement du
peuple à la religion n’influençait pas ses prises de position politiques.
Encore faut-il
rappeler que le projet national nassérien n’était pas celui des Officiers
Libres, un groupe d’hommes sans culture
politique, proches de ce fait des Frères Musulmans. De 1952 à 1955 ils ont mis
en œuvre le programme de la Fédération des Industries Egyptiennes :
invitation adressée au capital international et à l’aristocratie foncière pour
« développer » le pays, amitié avec les Etats Unis. Nasser n’est
devenu nassérien qu’après Bandoung, ayant alors compris qu’il lui fallait se
séparer de ces officiers réactionnaires pour substituer à leur appui celui de
la nation et du peuple. Je renvoie le lecteur ici à mon ouvrage « Nassérisme
et communisme égyptien ».
Les mêmes questions que celles qui avaient été
posées il y a soixante-dix ans émergent à nouveau. Des réponses analogues à celles
qui leur avaient été données dans le passé réapparaissent en filigrane. Car ni
Moubarak ni Morsi n’ont été éliminés par l’armée. Ils ont été abattus par la
colère populaire : des manifestations rassemblant quinze millions de
citoyens contre Moubarak, trente contre Morsi. Mais ce mouvement est resté, du
début à ce jour, divisé et sans stratégie. Le mouvement a été incapable
d’associer l’exigence de l’unité d’action et la définition d’objectifs
stratégiques d’étapes communs d’une part, et la reconnaissance de la diversité
des intérêts sociaux (de classe) propres aux différentes composantes du
mouvement d’autre part. Cette incapacité a profité au commandement de l’Armée
qui s’est « rallié » (en apparence) au mouvement, a déchu Moubarak
puis Morsi, mais pour conserver, lui, le contrôle des rênes du pouvoir.
L’Armée au
pouvoir ranime la nostalgie du passé nassérien que le Général Sissi alimente
d’une manière systématique par des gestes, des allusions, mais rien de plus. Et
face à ce retour (possible ? ou impossible ?) au
« nassérisme », les mêmes prises de position, fermes ou louvoyantes,
analogues à leur manière à celles qui étaient au cœur des conflits des années
1950, refont leur apparition. Pour Sissi aux commandes, rester dans le flou est
la seule option possible, intelligente de surcroît. Face à ce flou se dessinent
alors différents courants de l’opinion. Il y a les « pro-Sissi »
inconditionnels, un camp qui attire évidemment tous les bénéficiaires du régime
tel qu’il a été de 1970 à ce jour, mais aussi les indécis, les frileux qui ont
peur du désordre et préfèrent laisser en place ce qu’ils connaissent que
risquer l’inconnu. Il y a ceux qui pensent que « Sissi n’est pas mauvais,
et peut évoluer dans le bon sens », c'est-à-dire s’engager lentement mais
sûrement dans la voie du
« nassérisme », de l’affirmation de la souveraineté et de
réformes sociales progressistes. Faisons lui donc confiance. Aidons-le, au lieu
de le combattre. Ces positions rappellent étrangement celles de beaucoup de
démocrates, de progressistes, de socialistes et de communistes des années
1955-1965. Mais il y a également les « anti Sissi » de principe. Non,
pas de dictateur militaire ; il ne peut être bon ; non, pas
d’alternative autre que la démocratie civile tout de suite. Dans ce débat le
centre de gravité est déplacé. Nous renonçons à imposer notre débat :
comment concilier l’unité d’action du mouvement et la diversité de ses
composantes sociales. Nous acceptons de nous placer sur le terrain défini par
Sissi, dont la seule préoccupation est : comment rester aux
commandes ? Nous restons sur la défensive, répondant au jour le jour aux
faits et gestes du pouvoir qui conserve alors l’initiative. Nous renonçons à
passer à l’offensive et à contraindre le pouvoir, lui, à répondre à nos initiatives.
L’avenir de la
« révolution égyptienne » reste incertain. Qui l’emportera ? Les
officiers supérieurs et leur CSFA qui ont été systématiquement corrompus par
« l’aide américaine » imposeront-ils leur point de vue – poursuivre
les politiques de Sadate et de Moubarak ? Ou bien Sissi, comme hier
Nasser, osera se séparer d’eux pour s’orienter dans la seule voie qui peut
permettre l’émergence de l’Egypte ? Cette hypothèse optimiste mais non
irréaliste implique que le mouvement acquiert davantage de maturité dans la
formulation de ses trois objectifs indissociables (nouvelle voie de
développement au bénéfice du peuple entier, démocratisation, affirmation de
l’indépendance nationale), qu’il
devienne capable de se fixer des objectifs stratégiques d’étape communs aux
différentes composantes sociales du bloc alternatif à celui dirigé par la
bourgeoise compradore.
L’avenir des
révolutions arabes
Il est
certainement trop tôt pour dresser un bilan des « printemps arabes » autre que provisoire et d’étape pour la simple
raison que les aspirations exprimées par les peuples concernés sont loin
d’avoir atteint leurs objectifs.
Ces aspirations
ne sont pas multiples et variées, conflictuelles ; elles constituent au
contraire l’embryon d’une alternative cohérente et authentique fondée sur trois
transformations du système, elles-mêmes indissociables : (i) l’engagement
sur une voie nouvelle de développement dont l’ensemble des peuples concernés
seraient les bénéficiaires, (ii) la démocratisation de la vie politique et
sociale, (iii) l’affirmation de l’indépendance nationale.
Il est
indispensable de dissiper les illusions concernant la possibilité de concilier
la mise en place de modes démocratiques de gestion de la politique dans les
pays concernés avec la poursuite de politiques économiques libérales.
Marché et démocratie ne sont pas complémentaires l’un de l’autre,
mais antinomiques. Des segments importants des mouvements en lutte n’ont
probablement pas encore pris la mesure de cette antinomie. Le choix des pays occidentaux
en faveur de la mise en place de coalitions réactionnaires, associant les
partis de droite héritiers des régimes déchus et les Islamistes, est
parfaitement cohérent avec le seul objectif de ces puissances qui est de
garantir les intérêts du capital des monopoles. Que cette option annihile les
chances de la démocratie dans les pays concernés n’est pas leur problème.
Les aspirations
des peuples arabes sont exprimées quotidiennement par les uns et les autres, en
dépit du caractère toujours émietté de leurs luttes, dans trois slogans qui
reviennent inlassablement : (i) la justice sociale (el adala el
ijtimaia), (ii) le respect des personnes (karama al insan), (iii) le
respect des nations (karama al watan). Encore faut-il donner un sens
précis à chacun de ces mots d’ordre. Une voie nouvelle de développement, seule
garante de la justice sociale revendiquée par les grandes majorités d’exclus
dans le modèle mis en place, est synonyme de rupture avec le libéralisme
économique. Et parce que cette option entre en conflit ouvert avec la logique
du système mondialisé dominé par les puissances impérialistes, l’affirmation de
l’indépendance nationale est à son tour la condition d’avancées dans cette
direction. Il faut donc sortir de la recherche de « l’amitié » des
Etats Unis et de l’Europe, renoncer à solliciter leur « aide
économique », redonner vie à l’esprit de Bandoung, ouvrir des négociations
avec la Chine et les BRICS pour donner corps à la perspective de reconstruction
d’un front du Sud. Un projet de cette nature pourrait-il être mis en œuvre
« par en haut » par des pouvoirs « nationaux » ? Cela
avait été le cas dans l’ère de Bandoung et des projets nationaux populaires mais non démocratiques de l’époque
(1955-1980). Mais aujourd’hui un remake de ces projets me semble
difficile à imaginer. D’abord parce que les nouvelles classes dirigeantes,
façonnées et enrichies par leur adhésion à la mondialisation libérale mise en
place depuis quatre décennies n’aspirent qu’au maintien du système. Par
ailleurs des segments importants des peuples concernés aspirent désormais à
mieux qu’à un despotisme éclairé. La revendication démocratique doit être
replacée dans ce cadre. Elle ne peut être réduite à l’application de la recette
« pluripartisme et élections ». Ce serait là au contraire le moyen le
plus sûr de faire échouer le processus de démocratisation et, à terme, d’annihiler
sa crédibilité et sa légitimité, en substituant « l’alternance sans
changement » à la recherche d’alternatives nouvelles. La démocratisation,
c’est d’abord l’ouverture en droit et en
fait de la possibilité pour les classes populaires de s’organiser pour prendre
en mains elles-mêmes la défense de leurs droits et intérêts. Dans cette
perspective la démocratisation ouvre alors la voie à des possibilités de son
enrichissement permanent par la prise en compte de toutes les dimensions du
défi : sa dimension écologique planétaire, sa dimension idéologique
(substituer le principe de solidarité à celui de compétition dans la
reconstruction sociale), sa dimension polyculturelle (refuser de tenir pour
synonymes modernisation et occidentalisation).
Pour toutes ces
raisons je situe l’objectif de « sortir du libéralisme économique »
au cœur du défi. Sans engagement sur cette voie les discours sur la démocratie
et l’indépendance nationale perdent leur sens. Et en l’absence d’avancées sur
cette voie les dérives para culturelles (les Islam, Hindouisme, Bouddhisme,
Christianisme dits fondamentalistes) et les actions terroristes qui les
accompagnent, deviennent inévitables. Il me paraît nécessaire aujourd’hui plus
que jamais d’insister sur ce point.
Les actes de
terrorisme criminel dont ont été victimes des citoyens occidentaux – derniers
en date, les attentats contre Charlie Hebdo et le musée du Bardo – servent à la
perfection le déploiement de la stratégie agressive des Puissances
impérialistes. Ils ont permis de formuler une idéologie sécuritaire dont
l’abondante fumée répandue par le clergé médiatique à leur service fait oublier
que le terreau sur lequel germe le terrorisme est lui-même produit par les
politiques économiques libérales que ces mêmes Puissances n’ont pas renoncé à imposer aux peuples du
Sud, comme elle invite à tenir pour négligeable le fait que Washington et ses
alliés subalternes européens n’ont jamais cessé de soutenir les terroristes
utiles à leur stratégie de domination dans les pays arabes concernés. On nous
invite donc tous à adhérer à un « front mondial contre le
terrorisme », dans lequel paraderaient côte à côte les dirigeants des
puissances responsables de la flambée terroriste (pourquoi pas Netanyahou ?)
et leurs victimes. Le seul front commun dont les peuples ont besoin n’est pas
celui-ci, mais celui qui unirait - contre le libéralisme mondialisé – toutes
ses victimes, les peuples du Sud et ceux du Nord. Avancer dans cette direction
est le seul moyen d’éteindre l’incendie terroriste.
Mesurées à
l’aune des critères d’avancée d’une alternative authentique à la mondialisation
libérale et impérialiste, anti démocratique par nature, les conquêtes que les
« printemps arabes » auraient permis à ce jour sont fort maigres.
Et pourtant on
ne cesse de nous donner en exemple les avancées de la Tunisie, qu’on nous dit
bien engagée sur la voie démocratique.
L’attachement à
la démocratie de segments importants du peuple tunisien qui a courageusement
inauguré les révoltes arabes n’est pas discutable. Cet avantage incontestable
est le fruit de ce que Bourguiba avait semé en son temps en faveur des droits
des femmes. De ce fait la révolution tunisienne a été largement soutenue par
l’entrée en scène d’une composante féminine considérablement plus visible
qu’ailleurs. Pour ma part je vais jusqu’à dire que les avancées démocratiques
en Tunisie sont pour une bonne part redevables aux combats des femmes. Autre
avantage de la Tunisie : l’existence d’un Syndicat national puissant
(l’UGTT) qui avait été à la pointe du combat pour l’indépendance et qui a su,
par la suite, maintenir une autonomie réelle, fût-elle relative, en dépit des
efforts de Bourguiba puis surtout de Ben Ali visant à la domestiquer ou à en
annihiler l’influence. L’UGTT est parvenue de ce fait à devenir l’axe organisé
majeur du mouvement populaire. Son combat
renouvelé pour la justice sociale doit être mis à l’actif du mouvement
tunisien.
Il n’en demeure
pas moins que le mouvement, dans ses composantes majeures, a souscrit, avec beaucoup
de naïveté, aux invitations des puissances occidentales (Etats Unis et France
en particulier) et a, dans la foulée, consenti à des élections immédiates. Le
succès de Nahda, qui n’a surpris que ceux qui le voulaient bien, menaçait à son
tour de faire sombrer le pays dans le projet théocratique qui est celui de
cette branche locale de l’Internationale des Frères Musulmans. L’objectif du
mouvement s’est trouvé alors déplacé – comme en Egypte – et la priorité a été
donnée à la mise en échec de ce projet théocratique, en lieu et place de la poursuite
des luttes pour la justice sociale, la démocratisation et l’affirmation de
l’indépendance nationale. Le prix payé pour faire reculer Nahda a été
lourd : à cette fin une pseudo unité nationale a dû être construite,
fondée sur le retour en piste des politiciens du régime déchu. Plus que cela
l’opération a permis l’intégration de Nahda dans le gouvernement d’unité
nationale, de ce fait impuissant face aux exigences de l’économie libérale
ouverte à la mondialisation impérialiste.
Il n’y a donc
pas lieu de se féliciter de cette évolution. L’amorce de réponses efficaces aux
véritables défis sociaux n’est pas amorcée. C’est sans doute la raison pour
laquelle les médias occidentaux ne cessent d’en faire l’éloge. Cette évolution
démontrerait que l’Islam politique peut être démocratique ! Les dirigeants
de Nahda ont d’ailleurs condamné l’attentat terroriste du Bardo. On devrait
pourtant savoir que les Frères Musulmans se vantent de pratiquer la « taqia »,
c’est-à-dire le droit de mentir pour faire avancer par tous les moyens leur
projet théocratique. On devrait
s’inquiéter davantage de voir l’opinion occidentale – représentée par les ONG « pro-Sud » - souscrire aux mêmes
thèses, au mieux par naïveté, ou peut-être inspirées par leur ralliement au
social libéralisme.
La situation en
Tunisie demeure donc instable, comme ailleurs, en Egypte par exemple. Et pour
les mêmes raisons : l’hésitation à rompre avec les dogmes du libéralisme
économique, conçu comme sans alternative. Ce que les Occidentaux saluent comme
l’avantage tunisien (l’unité nationale) paraît à beaucoup de Tunisiens comme le
véritable handicap à la poursuite du combat pour une alternative authentique et
viable.
Le silence du
peuple algérien fait contraste avec la flambée des mouvements populaires en
Tunisie et en Egypte. Les média occidentaux attribuent ce silence au caractère
autocratique du pouvoir algérien. Un mensonge de plus : ce pouvoir est
visiblement moins répressif qu’il ne l’est ailleurs dans le monde arabe
contemporain. Ce silence doit donc être expliqué autrement.
Les
deux expériences – de l’Algérie et de l’Egypte – partagent beaucoup de
caractères communs, qui – par leur force – rendent compte de l’importance
qu’elles ont eu comme « modèles » pour les pays arabes et au-delà.
Mais les différences, qui n’en sont pas moindres, méritent d’être expliquées.
La
nouvelle classe politique dirigeante dans les deux pays, qui s’était construite
dans les cadres du boumediénisme et du nassérisme, était fondamentalement
semblable ; leurs projets identiques méritent de ce fait d’être qualifiés
de la même manière : il s’agissait de projets authentiquement nationaux et
populaires (et non « populistes »). Il n’est pas important qu’ils se
soient l’un et l’autre auto-qualifié de « socialistes » – ce qu’ils n’étaient pas et ne pouvaient pas
être. Plus grave sans doute est le fait qu’une bonne partie de la gauche
radicale – de tradition communiste – y ait cru, encouragée en cela par la
diplomatie soviétique. Dans les deux expériences les réalisations ont été
importantes, au point qu’elles ont véritablement transformé de fond en comble
le visage de la société pour le meilleur, et non le pire. Mais aussi, dans les
deux pays ces réalisations ont atteint rapidement les limites de ce qu’elles
pouvaient donner et, s’enlisant dans leurs contradictions internes – identiques
– se sont interdites de préparer la radicalisation qu’imposait leur poursuite.
Mais,
au-delà de ces analogies, les différences méritent d’être signalées. Le modèle
algérien a donné des signes évidents d’une plus forte consistance, ce qui
explique qu’il ait mieux résisté à sa dégradation ultérieure. De ce fait la
classe dirigeante algérienne demeure composite et divisée, partagée entre les
aspirations nationales encore présentes chez les uns et le ralliement soumis à
la compradorisation chez les autres (parfois même ces deux composantes
conflictuelles se combinent chez les mêmes personnes !). En Egypte par
contre, cette classe dominante est devenue intégralement, avec Sadate et
Moubarak, une bourgeoisie compradore, ne nourrissant plus aucune aspiration
nationale.
Deux
raisons majeures rendent compte de cette différence.
La
guerre de libération en Algérie avait produit, naturellement, une
radicalisation sociale et idéologique. Par contre en Egypte le nassérisme vient
en fin de la période d’essor du mouvement, initié par la révolution
de 1919, qui se radicalise en 1946. Le coup d’Etat ambigüe de 1952 vient donc
en réponse à l’impasse du mouvement.
Par
ailleurs la société algérienne avait subi, avec la colonisation, des assauts
destructifs majeurs. La nouvelle société algérienne, issue de la reconquête de
l’indépendance, n’avait plus rien en commun avec celle des époques
précoloniales. Elle était devenue une société plébéienne, marquée par une très forte
aspiration à l’égalité.
Cette aspiration – avec la même force – ne se retrouve nulle part ailleurs dans
le monde arabe, ni au Maghreb (pensez à la force de la tradition archaïque de
respect de la monarchie au Maroc !) ni au Mashrek. Par contre l’Egypte
moderne a été construite dès le départ (à partir de Mohamed Ali) par son
aristocratie, devenue progressivement une « bourgeoisie
aristocratique » (ou une « aristocratie capitaliste »).
De
ces différences en découle une autre concernant l’avenir de l’Islam politique
(ici le FIS), qui a dévoilé sa figure hideuse et a été véritablement mis en
déroute. Cela certes ne signifie pas que cette question soit définitivement
dépassée. Mais la différence est grande avec la situation en Egypte,
caractérisée par la convergence solide entre le pouvoir de la bourgeoisie
compradore et l’Islam politique des Frères Musulmans. De toutes ces différences
entre les deux pays découlent des possibilités différentes de réponses aux
défis actuels. L’Algérie me paraît mieux placée (ou moins mal placée) pour
répondre à ces défis, dans le court terme au moins. Des réformes économiques,
politiques et sociales maîtrisées de l’intérieur me semblent avoir encore leurs
chances en Algérie. Par contre en Egypte la confrontation entre « le
mouvement » et le bloc réactionnaire « antirévolutionnaire »
paraît devoir inexorablement s’aggraver.
La
question de la politisation démocratique constitue, dans tous les cas, ici, en
Algérie et en Egypte, comme ailleurs dans le monde, l’axe central du défi.
Les
puissances impérialistes n’ont pas renoncé à détruire les conquêtes du peuple
algérien. Elles avaient, à cet effet, soutenu le FIS, qui a tenté de ressurgir
à l’occasion des « printemps arabes » en appelant à manifester soit
disant contre la vie chère ; un appel qui n’a pas eu d’écho. Il a même
fallu l’intervention de la police pour éviter à son leader Belhadj d’être
lynché par la foule. Mais si le « printemps algérien » ne paraît
toujours pas être à l’ordre du jour du probable, il n’empêche que ce « non
évènement » est tenu par la médias occidentaux comme un évènement, comme
l’a dit Samia Zennadi dans son intervention au Forum Social de Tunis le 25 mars
2015. L’explosion qui permettrait de gommer les conquêtes du passé et de
rétablir l’ordre impérialiste est toujours attendue… depuis septembre 1962.
L’Algérie
et l’Egypte constituent deux exemples magistraux de l’impuissance des sociétés
concernées, jusqu’à ce jour, à faire face au défi. L’Algérie et l’Egypte sont
les deux pays du monde arabe qui sont des candidats possibles à
« l’émergence ». La responsabilité majeure des classes dirigeantes et
des systèmes de pouvoirs en place dans l’échec des deux pays à le devenir est
certaine. Mais celle des sociétés, de leurs intellectuels, des militants des
mouvements en lutte doit tout également être prise en sérieuse considération.
La géostratégie
des Etats Unis en panne
On aura vu dans les pages
précédentes comment opère l’interaction entre d’une part les mouvements de
natures diverses qui agitent les peuples arabes et d’autre part les
interventions des Etats Unis par lesquelles s’expriment les stratégies
géopolitiques qu’ils tentent de mettre en œuvre dans la région.
L’objectif de la
géostratégie mondiale et régionale des Etats Unis est de détruire les Etats,
voire les sociétés, qui menaceraient –
ou pourraient menacer – la domination exclusive de Washington (et,
derrière, celle de leurs alliés
subalternes en Europe et au Japon) sur la Planète entière. Les adversaires de
cet objectif sont potentiellement tous les pays du Sud et de l’ex Union
soviétique. Et, dans ce cadre, le recours à la guerre préventive et aux
complots, le massacre de centaine de milliers d’êtres humains, ne fait pas
hésiter les Etats Unis, qui, de ce fait sont l’Etat voyou numéro un, dont les
dirigeants sont les criminels de guerre et les auteurs de crimes contre
l’humanité majeurs dans le monde contemporain.
Les régions visées en
premier lieu par le déploiement de cette géostratégie sont la région
Asie/Pacifique et la région du Grand Moyen-Orient.
Les Etats Unis savent que
leur adversaire majeur est la Chine. Celle-ci a pris l’initiative de conduire
sa propre stratégie d’émergence sur le terrain du développement économique,
évitant par là même la course aux armements nucléaires que les Etats Unis
avaient imposé à l’Union Soviétique. Je renvoie le lecteur ici au livre
convaincant de Barthélémy Courmont (Une
guerre pacifique; ESKA, 2014). Et cette guerre froide
« soft » choisie par Beijing donne jusqu’à ce jour l’avantage à la
Chine, en passe de devenir la première puissance économique mondiale. Les Etats
Unis sont alors contraints de contenir les avancées possibles de leur
adversaire majeur par la construction d’un mur d’Etats qui acceptent leur
soumission au déploiement de la géostratégie
étatsunienne dans la région Asie/Pacifique. Le bloc intègre un allié
subalterne majeur, le Japon, qui se place de son plein gré dans cette posture,
comme l’Europe, un allié potentiel important (l’Inde), les Etats neutralisés ou
détruits en Asie du Sud-Est. Le renforcement de la présence militaire des Etats
Unis dans l’Océan Indien (Diego Garcia), dans le Pacifique occidental (Guam),
en Corée du Sud et ailleurs par l’établissement de bases militaires terrestres
complète le tableau
On dit que, parce que les
Etats Unis savent que la Chine est bien leur adversaire majeur, ils ont
récemment décidé de s’intéresser moins au Moyen-Orient et davantage à l’Asie.
Cela n’est que partiellement vrai. Oui, peut-être, les Etats Unis, supportant
de plus en plus difficilement le coût croissant gigantesque de leur présence
militaire dans ces deux régions, sont contraints de transférer une partie de
leurs budgets d’interventions de l’Ouest vers l’Est. Mais il n’est pas question
pour eux de se retirer du Moyen-Orient, d’autant que la région borde par le Sud
la Russie, en voie peut être de réémergence. L’intervention occidentale en
Ukraine doit être de ce fait considérée
comme faisant partie du déploiement de la géostratégie étatsunienne dans le
Grand Moyen-Orient.
Pour ce qui concerne donc
cette région, la géostratégie des Etats Unis s’est donné l’objectif d’annihiler
la capacité de résistance éventuelle d’un bon nombre d’Etats, potentiellement
dangereux, en premier lieu l’Egypte, l’Irak, la Syrie, l’Algérie et l’Iran. Et
jusqu’à ce jour, Washington n’a pas renoncé à cet objectif, ce qui implique la
permanence de sa présence et de ses interventions dans la région. Washington dispose, à cette fin, de quatre
alliés : deux alliés inconditionnels (Israël et la Turquie, membre
important de l’OTAN), la constellation des Etats arabes du Golfe conduite par
l’Arabie Saoudite, enfin à l’intérieur même des sociétés concernées l’Islam
politique réactionnaire (Frères Musulmans, Salafistes et Djihadistes). Les
interventions de ces quatre alliés permettent la mise en œuvre de la
géostratégie de destruction d’un bon nombre d’Etats et de sociétés de la
région.
Deux sociétés de la
région ont déjà été détruites ; celles de la Somalie et la Lybie. Deux
pays désormais « effacés de la carte des nations », sans Etat, livrés
aux seigneurs de la guerre, en bonne partie djihadistes et acteurs majeurs dans
le terrorisme régional, comme les attentats des Chebab au Kenya, et l’intervention des Djihadistes au Mali et au
Niger, trouvant en Lybie armes et
refuges. L’opération, conduite délibérément à cette fin, était relativement
aisée, du fait la fragilité de la construction nationale dans les deux pays
concernés. Un sort analogue menace le Soudan.
L’Irak de Saddam Hussein
avait constitué l’objectif majeur de déploiement criminel dévastateur du plan
étatsunien. Et la décision concernant l’intervention à cette fin avait été
décidée et planifiée bien avant sa première mise en œuvre à l’occasion de la
guerre du Koweit (1991) suivie de l’agression de 2003, au motif de la détention
par Saddam Hussein d’armes de destruction massive. Mensonge délibéré du
Secrétaire d’Etat Colin Powell, lequel devrait, pour ce crime contre
l’humanité, comparaître devant le soit disant Tribunal Pénal International.
Mais ce dernier n’a le droit de condamner que les pauvres hères de Serbie ou
d’Afrique ; jamais les criminels majeurs du monde contemporain. Il ne
reste donc plus aux Etats africains et autres qu’à sortir de cette farce de
justice.
Les infrastructures et
les industries de l’Irak ont été délibérément détruites, ses musées
saccagés, ses élites systématiquement
massacrées sur ordre de Washington. L’Irak n’existe plus ; quatre
caricatures d’Etat ont été mis en place
par Paul Bremer (le Gauleiter US) dans l’intention de créer la guerre civile
permanente entre Chiites et Sunnites, Arabes et Kurdes. A cette fin les armées
étatsuniennes ont protégé ceux qui, par la suite, devaient prendre la direction
de Daesh, dont le Khalife lui-même !
Néanmoins le succès de
cette géostratégie qui sème la mort, si foudroyant a-t-il été, a produit une
situation qui permet à l’Iran de pénétrer la région, en soutenant les Chiites
en Iraq et ailleurs. Washington aurait dû le savoir. Et, si nous faisons l’hypothèse
(qui est la mienne) que ses dirigeants sont assez intelligents pour l’avoir su,
pourquoi donc se sont-ils aventurés de la sorte ? La raison en est que les
Etats Unis pensaient que, dans la foulée, ils pourraient détruire l’Iran à son
tour, ce à quoi le Golfe et Israël les encourageaient. L’affaire de la menace
nucléaire iranienne a été inventée à cette fin. Mais la résistance de Téhéran,
soutenue par la Russie et la Chine, atténuant de la sorte les conséquences des
sanctions, a obligé Washington à reculer.
C’est alors que les Etats
Unis ont mis en œuvre leur plan B : affaiblir l’Iran avant de l’attaquer
frontalement en détruisant son allié syrien. Le faux « printemps
syrien » a été inventé à cet effet sur le modèle libyen comme je l’ai dit
plus haut. Mais là encore la Syrie, l’Iran, la Russie et la Chine sont parvenus
à tenir en échec cette géostratégie. L’armée syrienne ne s’est pas
décomposée ; et il a fallu, pour la menacer sérieusement, apporter à Daesh
le soutien (armes et financement par certains pays du Golfe) sans lequel son
Khalifat n’aurait pas vu le jour. Les Etats Unis ont misé pour faire avancer
leur plan, sur l’intervention de l’allié turc, devenu à son tour (avec Erdogan)
islamiste, et le soutien des diplomaties européennes à leur service (celle de
la France en première ligne) et à celui d’Israël.
Cette géostratégie des
Etats Unis est visiblement en panne. Ils sont donc contraints d’opérer un recul
tactique face à l’Iran et à la Syrie. Les déclarations de John Kerry, renonçant
à désigner Bachar el Assad comme l’ennemi premier à abattre, en constituent le
témoignage, comme un peu plus tard, en mars 2015, l’accord de Lausanne. Avec
une belle intelligence, Téhéran a compris que son accès éventuel à la
production de quelques bombes atomiques (contre
plus de deux cents en possession d’Israël) – de surcroît impossible à conserver secret
avant que la production ne permette un véritable armement nucléaire de l’Iran –
servirait de prétexte pour une agression ouverte, Israël obtenant alors le feu vert
pour un bombardement nucléaire de l’Iran. Mais de son côté Washington n’a pas
perdu l’espoir d’acheter par ce moyen la classe dirigeante iranienne,
l’invitant à opérer dans la région comme un acteur « normal »,
c’est-à-dire soumis en dernier ressort. Cette classe, qui, comme en Egypte et
ailleurs, n’imagine pas sortir du libéralisme économique, pourrait trouver sa
récompense – c’est-à-dire son enrichissement, pas celle de son peuple – par un
meilleur accueil qui lui serait offert sur les marchés mondiaux. L’Iran
pourrait alors retirer son soutien à la Syrie espère-t-on à Washington ;
et l’offensive pour détruire ce pays pourrait être relancée. Mais il ne s’agit
là que d’un scénario possible parmi d’autres. A l’opposé l’Iran pourrait persévérer
dans son projet de devenir un acteur indépendant dans la région, se rapprochant
des BRICS et contraignant Washington à l’accepter comme telle. L’accord de
Lausanne n’en a pas moins soulevé l’ire d’Israël, des Européens qui soutiennent
inconditionnellement l’Etat sioniste et
des pays du Golfe. Certes ces comparses (Israël, la France, le Golfe) savent
qu’ils ne peuvent pas prendre d’initiatives audacieuses sans le feu vert de
Washington. Mais ils n’en sont pas moins meurtris. Car le retour accepté de
l’Iran en qualité d’acteur dans la région réduit à néant les espoirs du Golfe
d’être seul autorisés exercer le contrôle du détroit d’Ormuz, sous la
protection militaire des Etats Unis.
La nouvelle guerre du
Yémen et l’intervention militaire de l’Arabie Saoudite à partir de la fin mars
2015 a été inventée pour réchauffer le conflit avec l’Iran, accusé sans preuve
de vouloir installer au Yémen un pouvoir chiite (majoritaire dans le pays).
L’affaire est plus complexe. L’homme mis en place par Washington et Ryad – Ali
Abdallah Saleh – n’a jamais été capable de convaincre de sa légitimité les
chefs de tribus et de clans divers – Chiites ou Sunnites – pas plus que les
militants qui, dans le Sud, étaient parvenus à amorcer un changement social
progressiste réel. Je renvoie le lecteur pour ce qui concerne les raisons du
suicide du Sud au nom de l’unité du Yémen au chapitre V de ce livre. Certes, le
chaos permanent au Yémen ne gêne pas les puissances occidentales ; pour
lesquelles seule la sécurité militaire à Aden importe. Mais ce chaos gène
l’Arabie Saoudite car il permet le refuge de Salafistes wahhabites qui osent
vouloir libérer le wahhabisme de la tutelle des Saoud, comme je l’ai dit plus
haut.
La Turquie d’Erdogan
sombrera-t-elle dans la grandiloquence démente néo-ottomane et islamiste ?
Je renvoie ici le lecteur à l’analyse que j’ai proposée des raisons de l’échec
du projet d’émergence de la Turquie, à l’origine du succès des Islamistes (cf L’implosion
du capitalisme contemporain, chapitre 2). Son intervention active en Syrie,
le soutien apporté aux djihadistes et à Daesh (en facilitant entre autre le
transit des djihadistes originaires de Tunisie et d’Europe), approuvés par
Washington et l’Europe, s’inscrivent dans cette dérive. Car ici également le
projet de semi-théocratie (faute de mieux – en attendant !) et le
raidissement fasciste nécessaire pour le permettre sont la seule carte que les
Puissances impérialistes peuvent jouer dans ce pays situé aux postes de
l’Europe, de la Russie, du Mashrek arabe et de l’Iran. La raison en est tout
simplement que la résistance grandissante du peuple turc à la dérive
néofasciste pourrait ouvrir la voie à ce que les Occidentaux craignent le
plus : l’engagement de la Turquie hors des sentiers du
lumpen-développement produit par le libéralisme économique (condition entre
autre de l’entrée du pays dans l’Europe), le rapprochement avec les BRICS,
autrement dit l’option pour une politique d’émergence réelle – et possible – de
la nation turque. La balle est maintenant dans le camp d’une gauche radicale
dont l’embryon existe. Car un remake
de l’époque d’Ataturk est ici aussi difficile à imaginer qu’un remake du nassérisme en Egypte, et pour
les mêmes raisons. Par contre une gauche conséquente pourrait donner au grand
mouvement démocratique qui se dessine l’organisation stratégique qui lui
manque. Il faudrait ici comme ailleurs que la gauche radicale comprenne que
seule l’audace paie dans une situation de polarisation provoquée par une
politique d’extrême droite.
L’Egypte à laquelle j’ai
consacré la majeure partie des développements de ce chapitre demeure la clé du
monde arabe. La géostratégie des Etats Unis s’est donc donné pour objectif
majeur l’annihilation du potentiel réel d’émergence de l’Egypte. A cette fin le
Plan A de Washington misait sur les Frères Musulmans, dont le projet
théocratique aurait garanti effectivement le triomphe des objectifs des Etats
Unis, du Golfe et d’Israël. Et bien que le peuple égyptien ait mis en déroute
les Frères Musulmans, Washington n’a certainement pas renoncé à son plan. Mais
faute de mieux, les Etats Unis pourraient se retrancher derrière leur Plan B
dont ils espèrent le succès, pour l’avenir court visible tout au moins :
le retour à la case départ c’est-à-dire au système économique et politique de
l’époque de Sadate et de Moubarak. Ayant alors renoncé à sortir des sentiers
battus de la mondialisation impérialiste, l’Egypte est condamnée à
l’insignifiance. Elle est alors maintenue en survie – juste la tête hors de
l’eau – par la pompe à finances du Golfe et « l’aide » corruptrice
des Etats Unis ; rien de plus. Ce triste scénario n’est hélas pas
impossible et il ne peut être mis en question que si, en Egypte comme en Iran,
en Turquie, en Algérie (les pays candidats à l’émergence, dotés des moyens d’y
parvenir), la gauche renaissante s’avère capable d’unifier les aspirations
nationales populaires et démocratiques de la nation dans une stratégie d’action
positive.
Références :
L’auteur a
publié entre 2011 et 2014 quatre ouvrages (en arabe) concernant les
développements en cours en Egypte et tenté de les replacer dans le cadre plus
large de la crise systémique du capitalisme contemporain. Ce chapitre reprend les conclusions de ces ouvrages.
En Français,
voir :
Samir Amin, Le Monde arabe dans la longue durée ;
Le Temps des Cerises, 2011
Samir Amin, L’implosion du capitalisme contemporain ;
Delga 2012 ; chapitre deux : le Sud, émergence et lumpen
développement.
Samir Amin, Egypte :
Nasserisme et communisme, diversité des socialisme ; Les Indes Savantes,
2014. L’auteur dresse un parallèle entre les luttes qui ont conduit à la
radicalisation du nassérisme après la Conférence de Bandoung (1955) et les
combats en cours en Egypte.
Chérif Amir, Histoire
secrète des Frères Musulmans ; Ellipse 2014.
Michel
Raimbaud, Tempête sur le Grand Moyen- Orient ; Ellipses 2015
Barthélémy
Courmont, Une guerre pacifique ; Eska 2014
Articles et
interviews de Samir Amin en français ou en anglais :
2011
An Arab springtime ? ; in, Firoze Manji and
Sokari Ekine (ed), African Awakening, the emerging revolutions; Fahamu
Books, Oxford 2011.
Les germes d'un
coktail explosif; Afrique Asie, mars 2011
Y a t il une
solution aux problèmes de la Somalie ? in , Recherches
Internationales ; n°89, janv mars 2011
L’Islam
politique comme horizon ? ; Afrique
Asie, dec 2011
La
désintégration de la Libye est possible ; Afrique Asie, dec 2011.
An Arab Springtime ? ; Monthly Review,
vol 63, n°5, October 2011
L’Egypte en
mouvement ; Pambazuka, 14/2/2011
Les Frères
Musulmans dans la révolution égyptienne ; Pambazuka, 21/2/2011
Egypte :
les Etats Unis en quête d’un modèle pakistanais ; Pambazuka, 21/2/2011
Le printemps
arabe ; site Pambazuka,
30/05/2011, site Tlaxcala 1/6/2011
Libye : un
risque de désintégration sur le modèle somalien ; Pambazuka 12/9/2011
Au lendemain
des élections tunisiennes ; Pambazuka
31/10/2011
Tunisia : West could scupper genuine
democracy with “Islamic alternative” ;
Pambazuka, 27/01/2011
Movements in Egypt : the US realigns, Pambazuka 02/02/2011
Is there a solution to the problems of Somalia ? ; Pambazuka, 17/2/2011
Egypt : how to overthrow a dictator; Pambazuka, 24/02/2011
Arab springtime; sites Monthly Review 6/6/2011, Pambazuka, 10/06/2011,
The future of Arab revolts; MRZine, 15/8/2011.
Libya could break up like Somalia; Pambazuka, 7/9/2011
After the Tunisian elections, what next?; Pambazuka 3/11/2011
2012
Préface;
in, Hocine Belalloufi, La démocratie en Algérie, réforme ou revolution?
Ed Apic, Alger 2012.
Origines
et réalités du printemps égyptien ; in, Eric Dénécé (ed), La face
cachée
des révolutions arabes, Ellipse 2012
Le printemps arabe, l’Egypte ; Journal des Anthropologues ; n°
128/129, 2012
Le printemps arabe dans la tempête ; Le Patriote, septembre 2012, p 7, Nice
Egypte, changement, demandez le
programme ; Afrique Asie, dec 2012, pp 16-21
2013
Les révolutions arabes deux ans plus
tard ; Recherches
Internationales ; n° 94 , janv-mars 2013,
Ni islamisme, ni néo
libéralisme ; Afrique Asie,
septembre 2013
Les Etats effacés ; Recherches Internationales ; n°97,
oct/dec 2013
L’Islam politique est-il soluble
dans la démocratie ; site Pambazuka
20/2/2013
Chute de Morsi : une importante
victoire du peuple égyptien ; site
Pambazuka, 10/7/2013
Le régne des Frères Musulmans n’a
duré qu’un an ; site Pambazuka
5/9/2013
2014
Egypte: pour une libération du
peuple; La Pensée n°379, juil sep 2014,
Fascism
returns to contemporary capitalism; Monthly
Review, vol 66, n°3, sept 2014
2015
La démocratie
sans progrès social est impossible ; Afrique Asie, avril 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire