A LA MEMOIRE DE SAM MOYO
La
disparition brutale de Sam Moyo nous a laissé sans voix. Sam était un ami
personnel très cher.
Sam
comptait parmi les fondateurs des activités que nous animons depuis plusieurs
dizaines d’années dans le cadre du Forum du Tiers Monde et du Forum Mondial des
Alternatives. D’emblée, lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons compris
qu’il était, au-delà de ses qualités de chercheur scientifique cultivé et
intelligent, un militant courageux et déterminé de la cause des peuples et des
nations, de la sienne (le Zimbabwe) et de celles de l’Afrique et du Grand Sud.
Notre collaboration étroite n’a donc jamais cessé de nous rapprocher chaque
jour davantage.
Les
travaux majeurs de Sam s’organisaient autour de la question agraire. Sam avait
compris que le déploiement de la stratégie de l’impérialisme ne pouvait rien
produire d’autre que la destruction sauvage et tragique des mondes ruraux et
paysans en Afrique et en Asie.
Sam
avait pris toute la mesure de la mise en œuvre systématique de cette politique
criminelle à partir de l’expérience de son propre pays : des millions de
paysans expropriés pour donner les terres de leurs ancêtres à quelque milliers
de colons. Il en avait saisi le sens dramatique et de ce fait pris résolument parti
pour la réforme agraire entreprise par Mugabe, quelles qu’en soient les limites
que Sam mesurait, et dénoncé l’hypocrisie de la Grande Bretagne qui se refuse
toujours à honorer ses engagements dans ce domaine.
Sam
ne se contentait pas d’analyser la réalité et d’en dénoncer la tragédie. Il a
apporté une contribution majeure à la formulation de l’alternative humaine en
réponse au défi ; et dans cet esprit précisé ce que pourrait être un
projet souverain de développement authentiquement national et populaire, porteur
d’avancées démocratiques et, dans son cadre, d’un projet de renouveau de la
production paysanne. Il savait situer le combat pour l’avancée de cette
alternative dans son cadre politique national et international ; il savait
que ce combat était indissociable de la lutte des peuples contre l’impérialisme
d’hier et d’aujourd’hui. Il avait le courage d’en analyser les tenants et aboutissants
et de confronter les propositions qu’il en déduisait aux mauvais arguments des défenseurs
du prétendu néolibéralisme.
Sam
était devenu un pilier de nos groupes de réflexion sur la question agraire en
Afrique et dans le Sud. A ce titre il avait organisé de magnifiques tables
rondes – entre autre à l’occasion de nos interventions dans les Forums Sociaux
Africains et Mondiaux – permettant aux meilleurs des spécialistes des trois
continents, engagés dans les luttes avec leurs peuples et leurs paysans,
d’examiner ensemble ce qu’il y avait de particulier à chacune de leur
expérience et ce qui les réunissait dans un combat commun pour l’émancipation
sociale et politique de toutes les nations concernées. Sam était le Vice
Président du Forum Mondial des Alternatives pour l’Afrique australe. Il était
le directeur de l’African Institute for Agrarian Studies ; et cette
institution majeure comptait elle-même parmi les membres les plus actifs du « réseau de réseaux » que
constituent le Forum du Tiers monde et le Forum Mondial des Alternatives.
Les
travaux de Sam et de ses collègues ont fait l’objet de nombreuses publications
remarquées. Deux ouvrages collectifs parus quelques mois seulement avant la
mort tragique de Sam portent l’empreinte de sa magnifique contribution :
The struggle for food sovereignty,
Alternative Development and the Renewal of Peasant Society today ed by Remy Herrera and Kin Chi Lau
(Publication du Forum Mondial des Alternatives, Pluto Press, London 2015).
Réponses
radicales aux crises agraires et rurales africaines, sous la direction de Bernard Founou-Tchuigoua et Abdourahmane
Ndiaye (Publication CODESRIA, Dakar 2014).
L’un
des auteurs de ce dernier ouvrage, notre ami Issaka Bagayogo est lui également
disparu en 2015.
Les
textes produits par Sam sont et resteront au centre des préoccupations de tous
ceux qui poursuivent son combat pour l’Afrique et ses paysans.
Dakar
le 08 Décembre 2015
Samir AMIN et Bernard FOUNOU-TCHUIGOUA
Forum
du Tiers Monde et Forum Mondial des Alternatives
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