Les élections françaises de 2017 :
une farce sinistre
Samir AMIN
19 juin 2017
19 juin 2017
La démocratie électorale pluripartite, joyau de la
modernité démocratique en Europe et aux Etats Unis, est gangrenée et engagée
sur la route de son déclin. La dictature exercée par le capital des monopoles
financiers a visiblement annihilé la portée et le sens des élections. La France
en avait déjà fait l’expérience il y a quelques années : le peuple
français avait rejeté par referendum la proposition de constitution
européenne ; cela n’a pas gêné le gouvernement et le parlement qui l’ont
adopté le lendemain ! La leçon que le peuple français en avait tiré était
tout simplement que le vote ayant perdu sa portée décisive, il ne valait plus
la peine de se rendre aux urnes. Les élections présidentielles d’avril 2017 et
les deux tours de l’élection du Parlement les 11 et 18 juin 2017 en témoignent.
Les abstentions frisent désormais les 60 % du corps électoral ! Du jamais
vu dans l’histoire de la démocratie occidentale. Dans ces conditions bien que
Macron ait été élu Président et qu’il dispose d’une majorité absolue
confortable dans le nouveau Parlement, le vote positif en sa faveur ne dépasse
pas les 16 % des citoyens, recrutés dans le privé au sein des classes moyennes
et des entrepreneurs – un milieu social naturellement
« pro-capitaliste », réactionnaire socialement ; il ne
représente pas « un raz de marée » comme le présentent les médias dominants.
Un cas analogue se serait produit en Russie, en Iran ou dans un quelconque pays
du Sud, les médias occidentaux n’auraient pas manqué de dénoncer la farce. Mais
ils se gardent d’en dire autant lorsqu’il s’agit d’une « démocratie »
occidentale, en l’occurrence la France.
La farce électorale est le résultat prévisible de
l’exercice de la dictature continue et sans précédent depuis trois décennies
des monopoles financiers, masquée sous les apparences trompeuses des
« exigences objectives des lois du marché ». Cette dictature s’est
emparée du pouvoir politique direct et le ralliement de la social-démocratie au
discours et aux exigences du néo libéralisme économique a produit de facto une
forme de pouvoir d’un « parti unique », précisément celui au service
de la petite minorité des « plus riches ». Il n’y a plus aucune
différence dans la pratique des gouvernements de la droite classique ou de la
gauche électorale traditionnellement majoritaire représentée par les
socialistes. Cette forme du parti unique – celui des « néo-cons » aux
Etats Unis- régule désormais la « vie politique », en fait la
« vie dépolitisée » dans l’Occident européen et nord-américain.
Il n’y a pas lieu de se réjouir de cette farce
sinistre. Car la perte de légitimité de la « démocratie électorale »
n’est pas relevée par l’avancée d’une alternative inventive de formes nouvelles
plus avancées de démocratie réelle meilleure. Il en est en Occident comme dans
les pays du Sud : les peuples constatent la dérive ; mais finalement
en acceptent également les conséquences, à savoir la « marche en
arrière » à toute allure. Pour la France, comme pour les autres pays du
centre impérialiste, les avantages que procure cette position dans le système
mondial à la grande majorité des peuples concernés sont fort probablement à
l’origine du « ralliement » passif au libéralisme des marchés.
L’avenir reste néanmoins ouvert. En France la
farce électorale de la « République en marche » ne répond à aucune
attente de la vaste majorité des citoyens et des travailleurs. Le ralliement
attendu de la droite au projet prétendu du « centre » ne tardera pas à révéler le visage véritable
de Macron : celui d’un homme de droite au service du capital financier et des
politiques néo libérales, et rien d’autre. En contrepoint les luttes sociales,
renforcées par l’émergence de la force politique représentée par « la
France insoumise », sont probablement appelées à prendre de l’ampleur. Le
faux « raz de marée macroniste », vanté par les médias bien que sans
rapport avec la réalité des faits, risque d’être de courte durée. Il faut
néanmoins savoir que l’expérience des trois dernières décennies a démontré que
les luttes sociales par elles-mêmes ne sont pas suffisantes pour arrêter la
dérive de droite et rétablir une dynamique d’avancées sociales qui implique le
dépassement de stratégies défensives et la cristallisation d’un projet
alternatif positif, authentiquement social et démocratique. Un projet de cette
nature devra par la force des choses savoir s’inscrire dans une perspective
plus large et plus longue, remettant en cause l’ordre mondial impérialiste et le
sous-système européen atlantiste qui le soutient. Les conditions d’émergence de
visions de cette ampleur et de stratégies d’action allant dans leur direction,
devront être rappelées et constituer le cœur des programmes de débat de la
gauche radicale, en France comme partout en Europe et dans le monde.
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